L’oeil de Mike Schreiber
Photographie

L’oeil de Mike Schreiber

Photographe de concerts, mais aussi portraitiste mythique, Mike Schreiber a immortalisé la plupart des figures essentielles de la scène rap américaine des années 1990 et 2000. Il commente pour nous quelques clichés extraits de ses imposantes archives.

Mike Schreiber est l’un des photographes de hip-hop les plus prolifiques des quinze dernières années. Que ce soit pour XXL, The Source ou encore Spin Magazine, il a couvert un nombre incalculable de concerts ou d’évènements et assisté aux débuts sur scène de nombre de légendes actuelles. En parallèle de ce travail de commandes, il s’est constitué, au fil du temps, des archives de portraits simples et touchants de tous ces personnages qu’il a été amené à rencontrer. Économie de moyens, cadrages basiques, mises en scènes choisies sur le vif, lumière naturelle et travail exclusivement argentique, une sélection de cet ensemble d’images atypiques a été regroupée dans True Hip-Hop, superbe livre dont il a accepté de commenter quelques images.


DMX

« DMX, c’est l’un des premiers shootings sur lequel on m’engageait pour faire du portrait. Jusqu’alors, je faisais principalement de la photo de concerts et j’essayais tant bien que mal de faire quelques images backstage quand je le pouvais. J’avais été embauché pour cette série par un magazine basé à Los Angeles qui n’existe plus maintenant et qui s’appelait Rap Pages. DMX commençait à devenir très connu. C’était à l’époque de la sortie de « Get at Me Dog ». Ce devait être en 98. Nous étions chez Def Jam, du temps où leurs locaux se situaient encore au centre-ville, à Manhattan. Cette photo, c’était probablement son idée. Je n’avais évidemment aucun moyen de savoir qu’il avait un tatouage pareil dans le dos. Il avait plein d’idées complètement folles. Quand il m’a montré cet énorme dessin avec ce fini très artisanal, comme fait à main levée, j’ai tout de suite su que ça pourrait être un très bon portrait. »

Lil Wayne

« The Source m’a envoyé couvrir une tournée de Cash Money. Ça devait être en 2000 je pense. Ils faisaient la première partie de Nelly. C’était au moment où Nelly avait vraiment le vent en poupe. Je me trouvais tout le temps dans les coulisses avec eux. C’était probablement avant l’une de leurs prestations. Ça devait être à Pittsburgh ou Albany, ou quelque chose du genre. On peut très bien dater la photo juste en regardant son téléphone portable Motorola à clapet. Je ne sais plus quel âge avait Lil Wayne, mais il était encore très jeune. A l’époque, Juvenile était la tête d’affiche de Cash Money et je ne savais pas trop qui était Wayne. Durant les concerts, à chaque fois qu’il rappait un couplet, toutes les filles devenaient hystériques. C’était encore un môme, mais il y avait déjà quelque chose de magnétique chez lui, auquel tout le monde, et spécialement les filles, était sensible. Ils avaient une énergie folle sur scène. Et leurs morceaux…  « Back that ass up » de Juvenile, c’est un classique maintenant. Cette image est aussi plutôt drôle parce que Lil Wayne y paraît si petit, perdu dans son immense Northface. »

Eminem

« Je n’ai pas grand chose à dire sur cette image. Je connais Eminem depuis depuis ses débuts pour l’avoir photographié très tôt sur scène pour The Source.  Par contre, cette image ne vient pas de cette toute première série. Je l’ai faite durant la courte tournée qu’il a réalisée à la sortie de son premier album. C’était dans une salle de concerts en ville qui s’appelait Tramps et qui a depuis fermé. J’étais dans les loges parce que je connaissais le manager d’Eminem depuis ce premier shooting et on m’a laissé faire quelques photos. C’était avant que sa carrière n’explose. Je voulais juste faire quelques portraits très simples, montrer la personne discrète et pleine d’humour qu’il peut aussi être lorsqu’il n’est pas sur scène. »

Voleta Wallace

« Voletta, c’est la mère de Biggie. Je devais faire son portrait pour XXL. Je ne sais pas s’ils le font toujours, mais ils avaient pour habitude de faire, chaque année, un numéro spécial Biggie et un numéro spécial 2Pac. Cette image est parue dans le numéro Biggie, cette année-là. Je suis allé la voir chez elle. Elle vit à la campagne en Pennsylvanie. Elle m’a montré toutes ces vieilles photos de lui enfant et adolescent. Des images incroyables. Elle avait cette image de lui dans un cadre en forme de pomme, comme celles qu’on offre à sa maîtresse. Comme elle avait été professeur des écoles, j’ai décidé de l’utiliser. Cette photo, c’est elle assise à sa table de cuisine. C’est vraiment un de mes portraits préférés parce que c’est tout simplement l’image d’une mère. Contrairement à la plupart des autres personnes que j’ai pu photographier, elle n’essayait pas de devenir célèbre ou de donner une image d’elle-même particulière. Ce n’est pas une artiste, c’est une mère dont le fils a été assassiné. On y voit sa force et son courage. Ce qu’on comprend aussi, c’est que malgré le fait que Biggie soit immense pour nous, une figure aussi forte que Jésus ou Bob Marley, pour elle, c’est avant tout un fils. Son point de vue est forcément complètement différent du nôtre. Il est cet être qu’elle a changé, lavé, dont elle s’est occupée au quotidien. Elle le connait ainsi, comme nous ne le verrons jamais. Nous ne connaissons qu’une facette de Biggie, celle de l’immense rappeur qu’il était. J’aime le fait que ce portrait nous ramène à cette réalité. L’article parlait du fait que personne n’a été arrêté pour ce meurtre et c’est vraiment triste, en définitive. Voletta est juste une mère qui veut connaître la vérité sur ce qui s’est passé, ce qui est arrivé à son enfant. »

Black Star

« J’ai fait cette image quand Mos Def et Talib Kweli ont acheté cette petite librairie à Brooklyn qui s’appelle Nkiru. Ils en ont d’ailleurs depuis fait une sorte de fondation. Encore une fois, ça date d’avant qu’on m’embauche réellement pour faire du portrait. Je faisais des petites piges pour The Source, pour leurs nouvelles et on m’a demandé des les photographier devant leur librairie à l’occasion de ce rachat. C’était quand ils commençaient à peine, et ils n’étaient pas franchement très connus. Je les avais déjà photographiés et je les connaissais un peu. Je suis arrivé là-bas mais ils n’y étaient pas. Donc j’attendais et j’attendais en photographiant les environs. Talib est finalement arrivé, mais quand il a vu que Mos n’était pas là, il est reparti. A l’époque, ils vivaient vraiment juste à coté. Alors j’ai encore attendu, et attendu, et attendu. Des heures. Et l’éditeur m’a dit que si je faisais juste une image de la devanture, ça lui suffirait s’il le fallait. Mais j’étais jeune et j’avais faim, je voulais juste faire un maximum de portraits et faire des choses plus grandes, meilleures et je suis resté. Tu ne peux pas dire aux gens de t’embaucher pour faire quelque chose sans leur avoir prouvé que tu maitrises et c’est ce que j’essayais de faire : profiter de chaque occasion pour bâtir mon portfolio. Ça a été interminable mais Mos a fini par arriver, Talib est finalement revenu et j’ai pu faire quelques images, dont celle-ci et celle de Mos Def avec sa capuche qui est depuis devenue très connue. Je n’ai pu faire que deux ou trois images de lui comme ça, tout seul. Il restait beaucoup dans son coin. Il était déjà dans son monde à l’époque. Il vit sur une planète qui n’appartient qu’à lui. »

Biz Markie

« Ce portrait est extrait d’une série réalisée à Coney Island pour XXL. Un ami m’aidait ce jour là et lorsque nous sommes arrivés là-bas, nous nous sommes assis sur un banc, à l’endroit où se trouvent tous les restaurants, en l’attendant. Tout d’un coup ce mec énorme s’assoit juste face à nous avec plein de hot-dogs et de frites. Vraiment beaucoup. C’en était presque impressionnant. C’était Biz Markie. Il a beaucoup mangé ce jour là. Je ne prévois pas particulièrement mes shootings. J’aime faire les choses sur le moment. C’est ce qui s’est passé avec la barbe à papa. Je trouvais simplement l’idée marrante et comme il a le sens de l’humour et adore la nourriture, il a accepté. Le plus drôle c’est que beaucoup de gens pensent que c’est de la fumée, une sorte de fumée bleue qui sort de sa bouche. Ça irait mieux à un rappeur, je suppose. »

Ol’Dirty Bastard

« J’ai travaillé pour XXL pendant quelques années et tout d’un coup, ils m’ont demandé de commencer à réfléchir à des concepts pour mes séances. Ce n’est vraiment pas quelque chose qui me vient naturellement, un concept. Je trouve que ça enlève beaucoup en spontanéité au modèle. Comme je ne trouvais pas vraiment d’idée je leur ai juste dit « OK, pourquoi ne pas le photographier à la Statue de la Liberté« . Je ne me souviens même plus tout à fait comment ça  m’est venu. Ce qui est sûr, c’est que j’avais en tête une image célèbre de John Lennon là-bas. J’ai été très surpris que tout le monde trouve l’idée intéressante, mais ça leur a plu. Ce n’était pas si longtemps après le 11 Septembre donc ça a été un peu compliqué. Il a fallu demander beaucoup d’autorisations, surtout qu’une équipe de MTV allait nous suivre car ils réalisaient une émission de télé réalité sur ODB, mais nous y sommes arrivés. Cette image a été prise sur le ferry de Staten Island, en route pour le shooting. J’étais allé aux toilettes et j’avais repéré en chemin un endroit avec une très belle lumière naturelle. Je n’utilise que peu d’éclairages, je préfère jouer avec la lumière du jour. En revenant, je lui ai demandé si ça le gênerait de faire quelques images sur le bateau. Il m’a accompagné et nous avons fait quelques photos. Je crois qu’il y en avait deux avec ce cadrage : celle-ci, et une sur laquelle il ne sourit pas et où il semble très mélancolique. Ce que j’aime dans ce cliché, c’est qu’il montre bien l’homme derrière la caricature de type complètement perché et incontrôlable. Je pense que nous avons fait cette séance l’année précédant son décès, juste après qu’il soit sorti de prison. Il avait plein de choses en tête, beaucoup à gérer. Puis en définitive, ce shooting, c’est quand même moi amenant ODB à la Statue de la Liberté … C’est quand même plutôt fou. »

Nas

« Je devais le photographier pour le magazine URB à l’occasion de la sortie du titre « Bridging the Gap » auquel son père, Olu Dara, participait. C’est l’une des seules images que je n’ai jamais fait pour laquelle j’ai employé de l’éclairage. J’ai toujours perçu Nas comme une sorte de musicien de jazz, il a ce type d’aura et je voulais garder cet esprit pour cette série. Je voulais une ambiance feutrée, cool, intemporelle. Le problème avec Nas c’est qu’il a toujours la même expression en photo. Pour rendre la chose un peu plus intéressante, j’ai choisi d’essayer de le prendre de profil. Nous étions entrain de faire différents réglages et Nas était simplement assis comme ça et quand je l’ai vu, je lui ai demandé de ne plus bouger. C’était parfait. Et j’ai shooté. Beaucoup de ces images, que je considère comme mes meilleures et que l’on retrouve dans mon livre n’ont même pas été retenues et publiées en définitive. Les éditeurs choisissent en général des rendus plus classiques, moins inattendus. »

Maino

« Je pense que cela restera une de mes sessions préférées. Je devais réaliser une série promotionnelle pour Atlantic Records à l’occasion de la sortie de son premier album If tomorrow comes… Nous avons décidé de photographier dans la cité où il avait grandi. Il a fait dix ans de prison et c’est uniquement après s’en être sorti qu’il est devenu un rappeur reconnu. Je voulais montrer ce qu’avait été sa vie avant. Il vit désormais une vie complètement différente mais il a vécu des années et des années en vendant de la drogue et en galérant. Nous avons passé la journée à faire des images dans son ancien quartier, à Bed-Stuy. Ça a été un très bel échange. Une session assez émouvante. Ça se ressent dans les images, je trouve. »

Beastie Boys

« Entre le 11 Septembre et le début de la guerre en Irak, il y a eu une sorte de gros concert à New-York contestant la politique gouvernementale. Je ne me souviens plus tout à fait, mais il me semble que c’était bien les Beastie Boys qui assuraient la tête d’affiche. J’y étais pour Spin Magazine. J’étais en coulisses, dans leur loge. Il y avait cette toute petite guirlande à leur nom sur le mur. La chose à la fois la plus absurde et la plus cool qu’on puisse imaginer comme décoration de loge. Ils étaient en famille, avec tous leurs enfants. Et c’était l’anniversaire de l’un d’entre-eux. Il y avait un gâteau. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer à quel point une loge des Beastie Boys devait être différente, ne serait-ce que dix ans auparavant. Là, ils étaient tous dans leur quarantaine, avec femmes et enfants, dans une ambiance super calme et relax. Je ne les ai pas fait poser. Ils étaient comme ça, tous les 3, avec Mix Master Mike, sur le canapé. L’image a d’autant plus de poids maintenant, depuis le décès de MCA. Je viens d’ailleurs de l’offrir pour une vente caritative au profit de l’indépendance du Tibet. »

Polaroïds…

« J’adore prendre des images mais je ne fais pas du tout de numérique, ça ne m’amuse pas. Le Polaroïd, c’est l’exact opposé du numérique. Des images uniques et un tirage instantané. Puis maintenant que les produits sont devenus instables, avec le temps, on ne sait jamais exactement à quoi s’attendre.  Je demande à tous les gens que je prends en photo avec mon Polaroïd de signer leur image, que cela soit Mos Def quand je le croise encore dans la rue, en bas de chez moi, l’enfant de neuf ans d’un ami qui DJ à la soirée de sortie du livre de son père, ou une femme népalaise que je croise en voyage et qui me signe son image en sanskrit. Ça n’a rien à voir avec la notoriété, c’est un instant, une personne. Et un Polaroïd c’est cher, rare, précieux. Quand je dis à quelqu’un qu’il ne vaut pas un Polaroïd, ça ne lui plait pas, généralement. Pourtant c’est ce qui fait la différence entre ces images et une photographie Instagram parmi des milliards d’autres. Je préfère une image unique, qui se démarque, et dont on se souvient avec le temps. »

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1 commentaire

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  • Yop,

    Elle est intéressante sa conception de la photographie en tout cas.