Ty Farris, les chroniques de Detroit
Interview

Ty Farris, les chroniques de Detroit

Vu de loin, la scène de Detroit est une anomalie. Malgré le succès d’Eminem, la légende de Jay Dee et la longévité d’un paquet d’artistes (Black Milk, Slum Village, Royce da 5’9’’, Guilty Simpson etc…) la ville demeure coupée du mainstream et repliée sur ses traditions antiques : les rappeurs gagnent leurs réputations dans des battles, les quelques artistes connus se tirent dans les pattes et les nouveaux venus tentent en vain d’intéresser des majors qui regardent ailleurs. Pourtant, parmi eux, Ty Farris semble avoir trouvé le bon compromis entre la tradition locale des battle et la recherche du single parfait. Sa dernière tape RadioKillaz offre des BPM vaporeux, des refrains chantés et des embardées pop pas désagréables, à l’image de l’inclassable « Chilin’ On Pluto » ou du plus classique « Ciroc & Lemonade ». Ça valait bien une interview, non ?

 


Abcdr Du Son : Tu rappes depuis longtemps ?

Ty Farris : J’ai eu une grosse éducation musicale. Ma mère chantait dans sa jeunesse, mon père était un très bon pianiste et j’ai à mon tour appris à jouer du piano et surtout du violoncelle… Pour le rap, j’ai commencé en faisant des battles dans mon quartier, avec mes potes. Mais je regardais mes cousins aller en studio et enregistrer des morceaux. Et j’ai eu l’envie d’enregistrer un titre avec eux ! A partir de là, je ne me suis plus arrêté, j’ai commencé à sortir pas mal de mixtapes jusqu’à ce jour.

A : Comment expliquer que la scène rap de Detroit soit toujours autant tournée vers les battles, une discipline qui semble avoir perdu de son importance ailleurs ?

T : La scène musicale de Detroit est la plus compétitive du monde ! Les gens ne te respectent jamais d’emblée, tu dois gagner l’estime de tes pairs. Je n’étais pas respecté à mes débuts car je n’étais pas bon. Je n’ai pas honte de le dire. J’ai réalisé que le travail et la constance étaient la clé pour m’améliorer. Alors, j’ai participé à tous les battles possibles, partout où je pouvais. Au bout d’un moment les gens m’ont respecté car j’avais le cran de me mettre en première ligne et de risquer ma peau. Heureusement pour moi, je dois dir que je n’ai jamais perdu aucun battle en un contre un [rires].

A : Pendant quatre ans, tu as fait partie de Purple Gang, un groupe produit par Proof de D12. Comment avais-tu connu Proof ?

T : J’ai rencontré Proof au St-Andrews [NDLR : salle incontournable de la scène rap locale, fréquentée dans les années 90 par Eminem, Slum Village etc.], où il animait des battles tous les vendredis. Avec mon pote Famous, on participait régulièrement. Proof nous a remarqués et à partir de là, on a rejoint le groupe Purple Gang produit par son label Iron Fist [NDLR : Ty Farris a quitté Purple Gang en 2006 après la mort de Proof].

A : Pour ceux qui ne connaîtraient Proof qu’au travers de son amitié avec Eminem, comment peux-tu expliquer qu’il semble aussi respecté que Jay Dee au sein de la communauté hip-hop de Detroit ?

T : Proof était à l’aise avec tout le monde et il a laissé un souvenir indélébile à tous ceux qui l’ont connu. Il était en relation avec tous les artistes de Detroit et il  était  capable de tous  les rassembler. Il était impossible pour quiconque d’organiser un évènement autour du rap à Detroit sans impliquer Proof dans le processus. Il avait une personnalité unique… Il me manque beaucoup.

A : Justement, vu de l’extérieur, il semble que la scène de Detroit est assez éclatée. Que manque-t-il pour que la scène locale retrouve une certaine unité ?

T : Les artistes doivent mettre de côté leur ego. J’ai décidé il y a longtemps de tendre ma main aux autres artistes. C’est logique d’ailleurs, c’est plus d’exposition et plus d’opportunités pour tout le monde. Et je dois dire que je suis un des seuls rappeurs de Detroit qui s’entende avec TOUS les artistes locaux. Personne ne peut me faire de reproche à ce sujet. C’est une leçon que j’ai retenu de Proof. Il tenait beaucoup à l’unité de la ville et j’essaie d’appliquer ce qu’il m’a appris à ce sujet.

A : Pourtant, en tant que membre de Purple Gang, tu as participé au beef entre D12 & Royce Da 5’9’’ en 2003 ? Penses-tu que cet épisode a fait du mal à la scène de Detroit ?

T : Oui car même si ça a attiré l’attention de beaucoup de gens sur Detroit, c’était pour de mauvaises raisons. J’ai participé à ce beef sans me poser de questions : Proof était le général et moi un soldat qui suivait ses ordres. Mais désormais, toutes ces embrouilles sont finies et les artistes de Detroit s’entendent bien mieux qu’auparavant.

A : En solo ou avec Purple Gang, tu as fait des concerts avec Young Buck, D12, Ludacris … Parmi toutes ces dates, y a t il un souvenir en particulier qui te revient ?

T : Certaines histoires que je pourrais raconter violeraient la loi du silence [rires]. Mais je me rappelle d’un gros concert à Las Vega. On avait fait la fête toute la nuit et le lendemain,  Proof s’est réveillé en retard. Il n’a pas réussi à rejoindre le car de la tournée. Alors, on l’a pris avec nous dans notre camionnette jusqu’à la ville suivante de la tournée qui était Phoenix. Je me rappelle encore du trajet sous une chaleur d’enfer. Il devait faire 40 degrés. Proof, lui, dormait à l’arrière, sur la banquette, avec ses pieds qui dépassaient de la fenêtre ! [rires]

A : Depuis 2008, tu est très présent sur Internet avec le site www.skrillagorillas.com qui propose des mixtapes originales, des actus sur le rap etc … Penses-tu que ce site peut t’aider pour ta carrière solo ?

T : J’ai fondé ce site avec mon pote Famous. On pensait qu’on avait besoin de notre propre site pour communiquer avec nos fans. Mais avec le temps ça a grossi et je le considère comme un site sur le rap de Detroit. On peut y trouver de la musique d’absolument tous les artistes locaux. Là encore, je suis l’exemple de Proof qui a toujours veillé à aider la scène rap de Detroit.

A : Au sein de Purple Gang, tu te faisais appeler T-Flame ou 40 Flame. Pourquoi avoir changé de pseudo pour tes mixtapes solos (Director’s cut et Radio Killaz) ?

T : Je voulais passer à autre, me dissocier de mon image de « rappeur de battles » qui me suivait partout. Je trouvais aussi que c’était un nom d’artiste plus commercial. Et surtout, c’est mon vrai nom et personne de ma famille n’est jamais devenu célèbre. J’aimerais pouvoir changer ça.

A : « Haters never win » est un des meilleurs morceaux de ta dernière mixtape RadioKillaz. Pourquoi ce titre ? Tu te sens détesté ?

T : C’était juste pour dire que les gens qui ont le temps de critiquer les autres utilisent mal leur énergie ! Je me sens parfois critiqué à Detroit parce que j’ai le courage de sortir d’un type de musique, d’expérimenter différentes choses. Et je pense que ça peut en effrayer certain, qu’un rappeur de Detroit soit polyvalent comme ça.

A : Quelques mots pour conclure ?

T Merci d’avoir pris le temps d’en savoir plus sur moi. Sinon, suivez-moi sur Twitter @tyfarris1 ! Allez sur www.skrillagorillas.com. J’ai pas encore de date pour mes prochains projets mais vous pouvez télécharger ma mixtape RadioKillaz sur datpiff.com.

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2 commentaires

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  • […] : Ty Farris, que nous avons interviewé, était présent sur plusieurs titres de ton projet Trouble Soon de 2006. Comment juges-tu son […]

  • Beathreat,

    Bonne interview!! Et bravo à la rédaction pour les chroniques très nombreuses ces temps ci.