La ride de 7Liwa
Portrait

La ride de 7Liwa

Vous ne regarderez plus jamais le Maroc comme le bled des chikhates et du chaabi.

Photographie : Issam Harris

Vous l’avez peut-être vu aux côtés de Lartiste dans la vidéo de son tube « Gonzales« . Et vous vous êtes sans doute demandé qui était cet animal un peu fou ? Lui c’est 7Liwa, tête brûlé du rap maghribi, originaire de Casablanca. Une scène musicale d’une vitalité incroyable avec ses artistes en pagaille qui semblent pour la plupart sortis d’une Trap House sous codéine. Peu de traces de leur existence dans nos médias (la faute à la langue ?) ou sur les plateformes de streaming et pourtant ! Leurs flows, leurs productions, leurs vidéos…tout est d’une efficacité redoutable. « Paris est Magique, Casa aussi » comme le dit si bien Lartiste. En témoigne d’ailleurs l’un des derniers hits de 7Liwa « La Fafa » (avec en featuring Laiyoung, Isi Noise et le A6 Gang). Le gars est bouillant, son rap est brûlant.

Les débuts de 7Liwa remontent à 2011/2012. Plus disposé à flâner dans le derb (le quartier) qu’à étudier, il découvre le rap vers l’âge de 15 ans et tourne son premier clip grâce à sa mère qui le finance. Arrivent ensuite les premiers succès, entre 2013 et 2014, avec « Batal l3alam » et surtout le très polémique « Mosi9t Chitan » (« musique du diable »). Un titre siglé d’un +18 sur Youtube pour sa vidéo gore et ses paroles provocantes où, 7Liwa raconte une folie que seuls les diables peuvent comprendre. « Papa dans la nuit est allé rejoindre maman/J’ai entendu du bruit/ à travers le trou de la serrure, j’ai jeté un œil/Je peux pas vous raconter ce que j’ai vu/J’ai vu papa qui était en train de… /Et je suis retourné dans ma chambre ». Chose qui peut paraître folklorique, au sujet des inspirations de ce titre, 7Liwa expliquera notamment dans une interview à nos confères marocains du média Street Art avoir été visité dans son sommeil par Aïsha. [Référence ici à l’une des mythes les plus populaires du Maghreb : celui de Aïsha Kandisha. Une sorcière à la beauté renversante avec des pieds de chameau qui séduit les hommes une fois la nuit tombée pour leur jeter un sort, NDLR] « Il y a ceux qui ont peur d’elle, moi j’ai dormi avec elle ». De quoi suffire à le ranger dans la catégorie « artiste qui dérange et/ou dérangé ». Surtout que, 7Liwa va en faire sa marque de fabrique par la suite.

Séquence d’introduction en 2015 avec « Wald Fatema » (premier extrait de sa mixtape du même nom). 7Liwa se présente torse nu, les cheveux hirsutes sous une lumière à contre-jour. Les mains jointes en position de prière, il est comme suspendu à l’urgence de raconter qui il est. Il est « Le fils de Fatema » comme ce titre l’indique. Un gamin qui se déclare dans des « te quiero » pudiques mais il est aussi ce « microbe » qui nourrit son spleen dans un rap au phrasé décadent. La vie est rapide, mkaweda (folle), sans lendemains qui chantent. Les émotions sont exprimées entre violence et fragilité. Et puis il y a aussi cette habta (défonce) qui revient encore et encore. Ne pas l’oublier comme pour mieux se souvenir. De cette génération qui marche à la Zatla et au Fanid (cannabis et pilule) comme il le rappe sur l’un de ses plus gros hits « Nik D.T » ( nique la police) ou dans « Haribo ». De cette miseria (misère) qu’il montre de façon brute et provocante – cocaïne, avortement, suicide, braquage, délinquance – dans son court-métrage « Au Hasard », co-réalisé avec Hassani Badr (avril 2017).

Les sujets, pour le pays, sont sensibles mais 7Liwa ne s’impose aucune limite. En avril 2016, dans une interview au média rap marocain de référence La Cage, il expliquait notamment : « avec un autre art, il peut y avoir des limites mais pas avec le rap. Tu peux mal parler, parler de religion. Au début on me disait que mes textes étaient trop tranchants, que j’allais grandir et perdre ces mauvaises habitudes (…) je ne cherche pas à être anti-système (…) j’ai pris quelques risques. Voilà tout ». On se souvient toutefois de l’histoire du rappeur Mr Crazy, incarcéré à l’âge de 17 ans dans un centre de détention au Maroc durant trois mois pour atteinte à l’hymne national, propos immoraux et incitation à la consommation de drogues en 2014. De celles de Mouad Belghouat alias El Haqed, militant actif du « printemps marocain », détenu d’opinion pour ses chansons et son engagement politique, exilé depuis en Belgique. On se dit que cette liberté de ton est fragile.

Mais les rappeurs sur le fil du politiquement correct au Maroc sont légion. Car au Royaume Chérifien, le rap est devenu la nouvelle forme de contestation sociale. Dans sa forme la plus divertissante, consciente ou engagée, cette musique porte les messages les plus subversifs de la culture contemporaine depuis Nass El Ghiwane. Alors même si 7Liwa semble comme accroché aux vanités (voire vacuité) qui habitent cette jeunesse marocaine désenchantée, il n’en reste pas moins l’un des artistes les plus subversifs. Et comme il chantonne sur « Kmi Kmi Kmi » (fume, fume, fume – premier extrait de sa mixtape à venir Seven), la ride n’est pas prête de s’arrêter.

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