Premier bilan

Le rap français de 2014 en 25 titres

Montreuil, Montpellier, Liège, Villiers le Bel, Bordeaux, Grenoble ou Versailles. Non, ce n’est pas la route de nos vacances, mais l’itinéraire estival qu’on vous offre en cette mi-saison de rap français. Bonne écoute. “C’est pour ceux qui partent, et ceux qui partent pas. Et surtout pour ceux qui partent pas”.

Lino – « 12ème lettre »

Un rappeur qui vieillit bien, c’est rare. Alors autant se réjouir quand on en tient un. “12ème lettre”, premier extrait du véritable deuxième album solo de Lino, est un vrai morceau de come-back. Exercice de style qui aurait pu être exécuté en 2004 comme en 2024, il a pour principal intérêt de prouver que la moitié d’Ärsenik est toujours aussi percutante. Mission largement réussie. Mehdi

 

Deen Burbigo – « Suis-je »

Sur Inception, Deen Burbigo semblait vouloir prouver qu’il était plus que le jouteur découvert lors des Rap Contenders. Un défi partiellement réussi, mais parasité par un multi-syllabisme trop compact et parfois brouillon. Deen a visiblement pris conscience des défauts d’Inception sur Fin d’après minuit. Un titre comme “Suis-je ?” sonne presque totalement épuré en comparaison avec ses précédents titres. Son choix d’un flow chantonnant appuie la mélancolie de la superbe production de C.H.I.. Quelque part entre lucidité en trompe-l’oeil (“Ils mythonnent pour jouer les thugs, j’mythonne pour paraître plus sage”) et questionnement spirituel (“Dieu est grand, pourquoi le défendrai-je comme s’il était mon petit ?”), Deen laisse de côté l’obsession maladive de la punchline pour enfin écrire de bons morceaux de rap. Raphaël

 

Fayçal – « L’appel de la nuit »

Des impasses qui disparaissent dans le rétroviseur, du génie derrière le pare-brise, des roses plantées sur les lignes blanches et balayées par les phares, des rimes englouties sous le pare-choc, et la nuit qui a l’aiguille du compteur plantée dans la peau. Ne cherchez plus, sur la désormais éternelle signature nocturne produite par Kavinsky et Lovefoxxx, Fayçal transforme ce qui aurait pu être une litanie en méchant travelling nocturne. L’étoile du berger est accrochée à ton rétroviseur et tout le monde range ses armes. Pas de Drive-By quand Fayçal mitraille, juste un flash à chaque phase. — zo.

La Hyène – « La galère »

Sur le premier volume de Ma Violence, La Hyène distribuait du bourre-pif à foisons. Les institutions, le racisme ordinaire, le rap français et ses têtes de gondole foireuses, le rappeur de Bois-l’Abbé était en mission. Une mission qui ressemblait fort à une vendetta avec quelques (rares) éclaircies. Deux années se sont écoulées et la suite de Ma Violence s’annonce du même tonneau : brut, brutal, nihiliste au possible et avec des (bons) relents du Booba cuvée Mauvais Oeil et Temps Mort. Sans affirmer l’affiliation, les premiers mots de “La Galère” donnent le ton : “Je me lève à quinze du mat’, fonce-dé de la veille…“. Le temps est à l’orage, il pleut des pavés entiers de haine. Nicobbl

Ahmad – « Nouveau Sinatra »

Écouter un morceau d’Ahmad, c’est un peu comme se retrouver face à un Ravensburger de 18000 pièces, racontant l’histoire d’un pirate verbal qui parcourt les eaux du rap en moonwalk sous le soleil brûlant de Montpellier. Dernier titre en date et deuxième extrait de son album à venir, “Nouveau Sinatra” est la quintessence d’un style : références à la pelle, images à foison et formules mémorables (“Je vise dans le mille quand je pisse dans le vide“). Sec comme un Melville, envoûtant comme un certain Frank, le morceau contribue à façonner l’identité de son auteur entre gimmicks et autoréférences malines. Les horizons sont larges, le polo griffé, le drapeau haut : c’est pas l’homme qui prend la mer, c’est AhmadeusDavid2

Béhybé – « Le jeu de la mort »

Le ‘vni Belge Béhybé fracasse à coup d’allitérations la production de son compère Hofusk. En forme de lumière blanche au bout du tunnel, aérien et sur un fil, “Le jeu de la mort” trouve ses réponses écrites sur les ailes des anges déchus. Les romances vacillent, les samples sont revisités, et même si Béhybé est apparu ces derniers temps au côté de Samm ou de Tar-One, impossible de ne pas avoir quelques regrets. Car on aimerait plus souvent entendre des MCs de l’éphémère groupe Invaderdz. zo.

Abdallah – « 1435 »

Abdallah est un rappeur intelligent. Choisir de reprendre le même sample de Nina Simone que celui utilisé par Kanye West sur “Blood on the Leaves” pour un morceau radicalement opposé à celui de son collègue Chicagoan ne peut pas être innocent. Remonté et réfléchi à la fois, plein de phrases choc à la bouche qu’il refuse d’appeler punchlines, le rappeur pourrait être une sorte de membre caché de l’Asocial Club et sort avec “1435″ un de ces morceaux à rallonge dont on n’arrive pourtant pas à se lasser. — Mehdi

Asocial Club – « La putain d’ta mère »

L’Asocial Club, c’est un petit peu les Avengers du gouffre, avec Tcho en Nick Fury et les quatre rappeurs qui se partageraient le rôle de Hulk. Pas de Captain America dans cette équipe tant Al, Prodige, Vîrus & Casey semblent décidés à retourner l’encéphale de l’auditeur. Entre Al qui déclame ses bons mots avec charisme et Prodige et son flow de voltigeur, ce sont Vîrus et surtout Casey, stratosphérique le temps de son couplet, qui se démarquent sur ce morceau à l’énergie communicative. – Mehdi

Mr. Flash ft. Cities Aviv, Action Bronson, Oh No – « Number One »

Mr. Flash n’a jamais été pressé. Et il a toujours préféré faire peu. Depuis le confidentiel et très collector 45 tours Le Voyage Fantastique, l’ancien voisin de palier de Tido Berman a suivi une démarche d’artisan, en sortant ses (rares) morceaux au compte-goutte. Un pied dans l’électro, un autre dans le rap, Mr. Flash a choisi de ne pas choisir. Son premier album – Sonic Crusader – reflète cet éclectisme en combinant influences et époques éparses. Un patchwork passé au filtre des époques, à l’image de “Number 1″, un essai transformé au refrain pitché et victorieux. Gilles Bousquet aime les concepts et les références : ramener Oh No, Action Bronson et City Aviv sur un même morceau, c’est un peu sa version alternative de Le bon, la brute et le truand. – Nicobbl

Kespar – « La Force »

Si la résilience se cherchait un sourire, elle l’a trouvée en la personne de Kespar. Synthèse des 7 titres de l’EP Way too Slick, “La Force” est à la fois grinçante et souple, souriante et introspective, individuelle et collective. 4 minutes durant, celui qui a l’air chiant comme un rappeur blanc de classe moyenne déride son spleen. Et si le binôme Kespar et Linkrust fait dans la production colorée, le flow monté sur vérins hydrauliques, il évite surtout habilement l’éternel reset du revival boom-bap. Au point que sur “La Force”, même le masque de Darth Vader fera risette. The Way too Slick may be with you. zo.

Zekwé Ramos – « Le Premier Métro »

Il est un excellent rappeur, un bon chanteur et un des jeunes producteurs français les plus doués : dans un monde idéal, Zekwé Ramos serait une superstar. Dans la vraie vie, il sort des projets de qualité, encore inégaux mais dont on sent qu’il ne leur manque pas grand chose pour passer un cap. “Premier métro”, ballade nocturne au potentiel tubesque indéniable, est typiquement le genre de titre vers lesquels le rappeur du 91 gagnerait à aller dans un futur proche. – Mehdi

Gros Mo & Nemir – « Click Bang »

On parle – à juste titre – beaucoup de Nemir. La qualité du dix titres Ailleurs, la fluidité et l’énergie de ses concerts et l’envie (constante) du vrai maire de Perpignan sont autant de bonnes raisons pour attendre impatiemment son prochain projet. Son premier véritable album attendu comme la confirmation d’une explosion attendue. En attendant, le bonnet le plus célèbre de Perpi’Zoo vient rendre la pareille à la famille, et partager un peu plus la lumière. Sur “Click Bang”, il s’associe avec Gros Mo et l’excellent Enz’oo dans une version revisitée et hallucinée des frères pétards de La Casa Musicale. – Nicobbl

Zippo – « La terre est plate »

Fin 2012 on vous avait expliqué pourquoi Zippo était un bûcheron. Et notre chronique se finissait par une sentence : “Die Hard !”Aujourd’hui, à écouter “La Terre est Plate”, on en est un peu plus persuadé : le briquet décapotable ne lâche pas des phases qui envoient du bois uniquement pour découper les productions du PDG. Car sur ce réquisitoire d’un cynisme dans lequel se love quelques prémonitions dont certaines se sont déjà transformées en vérité, il n’y a pas de doutes : Zippo est bien déterminé à empiler les stères pour mieux allumer le bûcher des vanités. Et si au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, il y en a quelques uns qui méritent encore et toujours une balle dans le buffet. Pendant ce temps là, ça continue de violer Jeanne D’Arc et ça brûlerait Galilée si celui-ci avait rappé un morceau comme celui-là. Au final, ça ne résoudra rien, mais ça fera au moins une chose de scientifiquement prouvée : oui l’histoire se répète. Alors nous aussi on se répète : Die Hard. – zo.

Ol’Kainry & Dany Dan – « Quand les tontons flinguent »

Sur leur deuxième album commun, Ol’Kainry et Dany Dan ne réinventent pas la roue. En revanche, ils démontrent une nouvelle fois qu’ils sont faits pour rapper ensemble. Saison 2 est un projet court et agréable au cours duquel le membre d’Agression Verbale et celui des Sages Poètes de La Rue s’envoient des bons mots avec une complicité quasi-unique. Ne boudons pas notre plaisir. – Mehdi

Fuzati & Orgasmic – « Dernier Portrait »

Des disques durs remplis de musique molle, une sale époque.” Moins conceptuel et moins thématique que Vive la vie et La fin de l’espèce, la réunion de Fuzati et Orgasmic autour de Grand siècle ne manque ni de bons mots, ni d’images fortes. Il s’écoute comme un “puzzle de mots et de pensées” avec le temps qui passe, les rappeurs foireux et la médiocrité de l’époque en moments récurrents. “Dernier portrait” s’inscrit pleinement dans cette idée et ces longues boucles tirées de ce bon vieux minimoog rappellent des moments où la corde était bien attachée à la branche. On attend de pied ferme le dernière épisode d’une trilogie atypique. – Nicobbl

Fellez & Le Sept – « Sourde Violence »

En ping-pong avec Fellez, Sept regarde le noir des fissures, le sang glacé dans les fêlures. On dit que les murs ont des oreilles, mais parfois, on préférait entendre quelques voix que son propre écho. Sans sonotone et loin de considérer le silence comme un échappatoire, le duo habille une production au hi-hat qui vacille non stop et aux nappes qui naviguent entre les éléments. Et si le morceau s’ouvre et se clôt sur le tonnerre et les gazouillis d’oiseaux, il est trop tard pour chercher le mauvais augure. – zo.

A2H – « Dans ma chambre »

Après Bipolaire et Studio Liqueur avec Aelpéacha, A2H prouve une nouvelle fois qu’il est productif en sortant son deuxième album solo, le bien nommé Art de Vivre. Titre parfait tant le disque, avec ses ambiances chaudes et enfumées, s’avère idéal pour les journées de ride qui vont s’annoncer essentielles avec le retour de l’été. Ceux qui trouvaient A2H un peu trop mécanique au micro peuvent se rassurer puisque ce dernier a largement épuré son écriture pour la mettre au service de sa musique. – Mehdi

Joke ft. Pusha T – « Black Card »

Il faut savoir se faire plaisir. Et s’il garde parfois les dents serrées, Joke boude rarement les occasions de réaliser ses envies. PourAteyaba, son premier album, son équipe a sorti le carnet de chèques pour s’offrir une apparition éclair de Pusha T. Un petit couplet anodin et sans saveur qui laisse au final assez sceptique. Sur le papier, “Black Card” avait le potentiel du rouleau compresseur à même de dresser un pont entre deux univers. Dans les faits, il reste un bon morceau porté avant tout par les accords hérétiques du duo Leknifrug-Blastar. – Nicobbl

Moïse The Dude & Seno – « Sonatine »

On peut au moins tous s’accorder pour trouver une qualité à Moïse The Dude : le gars est honnête. En sortant “Muscler son jeu” comme premier extrait de son deuxième EP solo, le rappeur promettait un projet moins nonchalant et détaché que le premier opus. “Sonatine”, sa collaboration avec Seno, l’ancien représentant des Sales Blancs, le voit tenir parole. Références cinématographies subtiles, production léchée de Pernini9000 et alchimie parfaite entre les deux protagonistes : le morceau est une réussite totale. – Mehdi

Piloophaz – « La revanche de Jesse Lee »

Entre regard sans concession sur l’engagement adolescent et refrain en forme de climax, Piloophaz se balade entre deux plans hérités d’un film de Mario Van Peebles. Avec un instrumental lugubre et sombre, des photos et images de reportages qui apparaissent en saccades dès le second couplet, le tout en moins de trois minutes, l’ancien de la Cinquième Kolonne manie l’auto-critique autant que la critique, la prise de recul autant que le choc frontal. Entre revanches et ravages. – zo.

L’Entourage – « Comme ça »

Invités sur le plateau de notre émission, Deen Burbigo & Alpha Wann n’avaient pas vraiment su nous dire quel projet estampillé L’Entourage était le plus abouti. Six mois après, Jeunes entrepreneurs, le premier album du collectif, apparaît comme la réponse la plus évidente. Finies les courses à la punchlines et à la technique tape-à-l’oeil, les rappeurs ont enfin trouvé leur place et s’amusent derrière le micro. C’est le cas sur “Comme ça”, vrai morceau d’été sur lequel 2-Zer Washington confirme qu’il est un des membres les plus intéressants du groupe. – Mehdi

Espiiem – « Nouveau Départ »

Après Haute-Voltige, ce mini-album unanimement salué par la critique, on attendait avec impatience de voir ce que l’ancien membre de Cas de Conscience allait nous préparer. “Nouveau départ” ne surprend pas et on y retrouve Espiiem là où on l’avait quitté : toujours à flirter sur ses morceaux entre moments intimistes et démonstrations de flows. On est maintenant curieux de le voir aller vers de nouveaux horizons. – Mehdi

Tiers Monde – « Affront National »

Din Records aime jouer sur les faux semblants. Prenez cet “Affront National”, morceau inédit de Tiers-Monde, produit par un Général en progrès constant, et sorti après les municipales. Son titre pourrait suggérer un manifeste anti-FN. Dans le texte, c’est même plus que ça. A la fois réaction à chaud et crachat de bile longtemps macéré, “Affront National” est aussi habile que maladroit. Il alterne entre dégoût sincère de la politique et lieux communs, outrages faciles et humour malin (“Peine plancher écopée, je calcule : rien ne recule / Ni l’chômage, ni l’cumul, ni la calvitie d’Jean-François Copé”). Au fond, le message essentiel est au refrain : “toutes les portes qu’on a ouvert nous-même”. Une parabole du parcours du label havrais et un condensé sans fioriture de la moitié de Bouchées Doubles.- Raphaël

Butter Bullets – « Hugo »

Après 1995, c’est la Sexion d’Assaut qui prend un petit taquet de la part de Butter Bullets. Pour marquer son nouvel album prévu pour la rentrée, le groupe revient avec un morceau désarçonnant à la première écoute mais à la rythmique se révélant merveilleusement entêtante au fil des écoutes. L’entité Butter Bullets continue de tracer sa route dans son coin, toujours avec cette identité visuelle et sonore ultra marquée. – Mehdi

Soklak – « Inadapté »

Sincèrement, avec ce morceau, on aurait pu pu jouer aux vieux cons blasés. Car même si on aime quand ça balance, là, Soklak place des phases déjà entendues lors de ses freestyles. Mais c’était sans compter toutes les évidences qui composent ce MC, de sa gouaille à sa force de frappe. Ca tombe bien, sur cette production sortie des ateliers Grim Reaperz, le chat Montreuillois y va de ses manchettes en pleine gorge pour “représenter les gens simples qui pensent compliqués”. Alors OK, chez le Soul Brother, rien n’a changé, de la vanne revancharde à l’engagement populaire pas forcément affiné. Mais finalement ce n’est pas plus mal, tant ses textes brut de décoffrage et ses placements cogneurs transforment l’évidence en méchant coup de griffe. Gare à celui qui ne retombera pas sur ses pattes, ça n’a pas fini de feuler. – zo.

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1 commentaire

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  • Zusmir,

    Le Deen Burgibo est une vrai tuerie