Rap français

Nos 15 morceaux du 3ème trimestre 2013

Entre têtes d’affiche, revenants et jeunes talents prometteurs, la rentrée du rap français est plutôt chargée. Zoom sur les quinze titres qui ont marqué nos trois derniers mois.

Ali – « Le survivant »

Il y a une chose qui frappe à l’écoute de ce dernier morceau d’Ali : plus que jamais, le rappeur semble en marge du rap français. « Le survivant », morceau contemplatif et emprunt de mysticisme est un de ces titres signature d’Ali qui aurait pu sortir en 2004 ou en 2017 sans que cela ne choque personne. Ali continue son chemin sur la route qu’il s’est lui-même tracée avec Chaos et Harmonie et, peu importe que Le Rassemblement n’ait pas eu l’impact escompté, il continue à brandir le 45 Scientific comme un étendard. Lorsque nous l’avions interviewé en 2006, Ali disait considérer le rap comme un sport et qu’il se devait de le pratiquer régulièrement afin de rester compétitif. En décryptant les couplets du « Survivant » (« Ma voix traverse les murs sans détruire les fondations »), nul doute qu’Ali est loin d’avoir délaissé le rap, préférant se faire rare plutôt que de chercher à occuper constamment le terrain. Quelque part, c’est sûrement mieux comme ça. – Mehdi

Le Téléphone Arabe – « Sand Nigga »

Autre MC en marge du microcosme rap français, Le Téléphone Arabe annonce immédiatement la couleur en plaçant en introduction du morceau la fameuse tirade de Travis Bickle issue de Taxi Driver. Si l’instrumental est minimaliste, c’est uniquement pour laisser de la place au rappeur qui fulmine contre à peu près tout ce qui l’entoure, développant une sorte de dégoût généralisé rappelant forcément celui d’Ekoué sur les Nord Sud Est Ouest. Apre et amer, « Sand Nigga » cogne dur sans jamais donner de leçon de morale pour autant (« La queue rivée vers les femmes, en attendant les flammes »). – Mehdi

Sand Nigga est disponible en téléchargement gratuit et contributif sur le bandcamp de l’artiste.

Lexxcoop – « Tatsumaki Senpuu Kyaku »

Lexxcoop est un rappeur méconnu. Pourtant, le rappeur Breton rappe depuis le début du siècle et a enchaîné les scènes et les projets, notamment avec le collectif Ambitieux. Sa dernière galette, Capocannoniere, est dans les bacs depuis le 30 septembre et on a largement pris le temps de revenir avec lui dessus. « Tatsumaki Senpuu Kyaku », premier extrait du EP, est un de ces titres explosifs sur lesquels Lexxcoop s’en donne à coeur joie. Sur une production homérique de Gizzle Beats, Lexxcoop prouve qu’il est indiscutablement à l’aise sur ces morceaux egotrips où la performance prime. On espère maintenant qu’il ne se fera pas trop attendre avant d’enchaîner sur un nouveau projet. – Mehdi

Kenyon & Nemir – « Les années passent »

Kenyon est à la croisée des chemins. Depuis trois ans, il charbonne sur disque et sur scène, consolidant une bonne réputation d’espoir à potentiel tout en embarquant quelques prix symboliques (End of the weak, Buzz Booster). Aujourd’hui, il lui manque encore quelques ingrédients pour passer de l’autre côté de la barrière – celui où se situe Nemir depuis quelques mois. Il lui manque un projet référent et incontestable. Il lui manque également un single ultra-fédérateur. Premier extrait de la suite de Le Cas Local, « Les années passent » flirte avec ce statut. Il laisse glisser quelques rayons de soleil salvateurs pour prolonger un peu plus le farniente estival. La route est encore longue mais Kenyon est monté dans la bonne bagnole. – Nicobbl

Aketo – « Accoutumance »

Avec Sniper, Aketo a tout connu : le succès vertigineux, la difficulté de voir un membre quitter le groupe, les groupies, la haine d’une partie du public rap, un quatrième album solide mais sorti dans un certain anonymat… Une petite vie 100 histoires, son premier album solo, sera le projet d’un rappeur nouveau, délesté de toute forme de nostalgie et décidé à vivre avec son temps. Le premier extrait, « Accoutumance », tranche radicalement avec la naïveté qui avait souvent caractérisé certains textes de Sniper. Mature sans être assommant, introspectif sans que cela ne tourne à la séance de psychanalyse, Aketo y propose du vrai rap de trentenaire et en profite probablement pour y régler quelques comptes avec ses propres démons. – Mehdi

Rockin’ Squat feat Wush (LowSchool), T-Nord & F.a.s.k (Playad), TonyToxik (L’Uzine), Mr Agaz, Grödash, Le Célèbre Bauza, Vald, Dj Nixon – « L’undaground s’exprime Chapitre 6 »

Qui peut bien encore écouter Rockin’ Squat ? Sans doute des gens obsédés par les fameuses « valeurs » et l’indispensable « message » qu’ils pensaient scotchés à vie au « hip-hop », comme l’on jurait à quinze ans, sincèrement, fidélité à nos baggy Akademiks et Pelle Pelle. On a un peu de peine, on les moque mais on les aime. Et on s’incline, quand la constance de leur amour est enfin récompensée. Cette sixième tribune de l’underground est une belle pièce, réunissant des gens bien. Et si Squat est loin d’être le plus brillant de l’assistance, le mérite du casting lui revient. Alors, d’accord, l’assassin a la ferraille rouillée, la fâcheuse habitude de porter des lunettes de soleil en soirée, mais à l’heure où le posse cut revient étrangement à la mode, la formule secrète demeure plus que jamais en sa possession. – Diamantaire

Espiiem- « Kilimandjaro »

On vous a déjà dit tout le bien qu’on pensait de Haute Voltige, le mini-album d’Espiiem, et deux semaines après notre opinion n’a pas bougé d’un iota. Sur « Kilimandjaro », Espiiem se paye le prodige canadien Kaytranada derrière les machines qui livre une production enlevée au cours de laquelle le rappeur prouve sa polyvalence. Véritable morceau fédérateur destiné à faire vibrer les fosses, « Kilimandjaro », comme « Paso Doble » d’ailleurs, contraste parfaitement avec le reste du projet. Après avoir écumé les scènes et les formations (Cas de Conscience, The Hop), il semble que le rappeur parisien ait enfin trouvé la configuration dans laquelle il se sent le mieux. – Mehdi

100zek & DJ Stresh- « Warzone »

100zek, entité composée des rappeurs Der. Klein et Carléone est encore relativement méconnue. Membre du Syndicat 209, collectif plus large et regroupant plusieurs rappeurs de Seine-et-Marne, le duo a asséné un joli coup dans la fourmilière du rap français avec « Warzone ». Emprunt d’une esthétique sobre mais soignée, le clip sert parfaitement les propos des rappeurs qui affichent une rage menaçante avec une nonchalance bienvenue. On attend maintenant avec impatience de la nouvelle musique de la part de ceux qui font « la guerre en sifflotant ». – Mehdi

Juicy P – « Charger »

Avec son compère Jack Many, Juicy P porte haut les couleurs de Grigny depuis plusieurs années au sein de la LMC Click. Talentueux et productif, le duo souffre pourtant d’un manque de reconnaissance surprenant. L’injustice est peut-être en train d’être réparée, Juicy P étant de plus en plus en vue (il s’est tout de même payé le luxe de faire récemment de l’ombre à Niro sur son propre projet) et préparant un projet solo censé sortir prochainement et intitulé Certifié Vrai 2 – La Plakette. Sur « Charger », tout le style de Juicy P est résumé : ultra-charismatique, il se pose sur l’instru avec une facilité déroutante et déroule ses couplets en pilotage automatique. Tellement à l’aise qu’il se permet même quelques facilités d’écriture qui font plus sourire l’auditeur qu’elles ne le dérangent. – Mehdi

Kaaris – « Dès le départ »

« Dès le départ », quatrième extrait d’Or Noir, achève de confirmer l’évidence. Le premier album de l’éléphant ivoirien de Sevran sera l’Everest de la Trap music à la sauce hexagonale. Avec le duo Therapy derrière les casseroles, un univers visuel qui rappelle notamment « Hold me back » (Ricky Rozay) et « I don’t like » (Chief Keef) Kaaris sort de la cuisine avec des giclées d’hémoglobine sur le poitrail. Jamais à l’étroit dans son costume de brute sanguinaire, il martèle jusqu’à plus soif ses quelques formules chocs jusqu’à exploser le sol et nos tympans. Dénué de filtre, d’artifice, de (bon) sens et de compromis, l’autre double A n’a pas demandé sa route au mur. Il fonce tout droit, tête baissée et à toute berzingue. Reculez. – Nicobbl

Le Parasite & Sept- « Chaos technique »

Comme c’est souvent le cas chez LZO, la réussite de « Chaos Technique » est avant tout une réussite collective. Le Parasite, beatmaker du label qui vient de sortir le très bon My Mind Travels Far sur le lequel on retrouve ce titre, fourni la texture musicale rèche et industrielle de circonstance. Le Sept, vétéran à la plume bétonnée et à la conscience sociale aiguisée, amène de sa voix parasitée l’amer constat d’une société en décadence, tellement amorphe et sans rêves qu’elle est à peine foutue d’être une dystopie. Steve Lejeune offre un écrin de premier choix au brûlot, multipliant dans son clip les plans fugaces et les insertions référentielles (de The Wire à Pink Floyd en passant par THX 1138) dont il a le secret. Le résultat, c’est que si le « Chaos Technique » s’envisage sérieusement d’un point de vue sociétal, on affublera volontiers au morceau le sens afféré au noble art.- David²

Booba- « RTC »

Si Booba n’a pas compris Yeezus, on peut raisonnablement penser qu’il a écouté en boucle le Finally Rich de Chief Keef. Produit par Young Chop, « RTC » est un pur morceau de trap comme le jeune Chicagoan est capable d’en sortir à la pelle. Peut-être le meilleur solo de Booba depuis « Bakel City Gang », il voit l’auteur de Futur se renouveler enfin en termes de flow et lâcher une voix éraillée qui poursuivrait presque l’analogie que nous avions faites avec Clint Eastwood. Avec peu de punchlines mais plusieurs phases vraiment drôles (Instagram, le père du rap conscient et son plat de sanglier, le mois de août), Booba ne réinvente pas la roue mais rassure sur son envie de rapper. – Mehdi

Lomepal, Vidji, L’Essayiste & Jeanjass- « A ce soir »

Après Le singe fume sa cigarette, album réalisé l’an dernier en collaboration avec Caballero et Hologram Lo’, Lomepal est de retour avec un huit titres accompli cette fois avec le beatmaker Meyso. Si les deux compères ont officié chacun de leur côté pendant la conception de Cette foutue perle (à l’artwork franchement bien pensé), une alchimie naturelle transparaît à l’écoute du projet. Très bon single, « A ce soir » est pourtant trompeur. En l’écoutant rapidement, on pourrait penser que Lomepal est un de ces frat rapper à la française, tout juste bon à parler des packs de bières qu’il s’amuse à descendre en soirée (même s’il faut le reconnaître, il aime bien parler de ça). Rappeur doué, on attend désormais que Lomepal sorte de sa zone de confort et qu’il n’hésite pas à explorer d’autres sonorités. – Mehdi

Rohff- « El Padre »

Entre la sortie compliquée de La Cuenta, ses soucis familiaux qui ont éclaté au grand jour et le clash avec Booba, dire que la sortie de PDRG était attendue faisait office de doux euphémisme. Nouveau double-album après La Fierté des Nôtres et Au-delà de mes limites, PDRG est parfois inégal mais a le mérite de mettre en lumière un Rohff revenu d’entre les morts qui débarque avec une fantastique soif de vengeance. Jamais aussi bon que lorsqu’il est arrogant (son « J’ai cassé mon miroir, je ne vois plus d’adversaire » renvoie d’ailleurs au « Mon seul rival est un miroir » de Solaar), Rohff signe avec « El padre » un morceau incendiaire dans lequel rappeurs (Booba, évidemment, et Rim-K) comme footeux (Menez et Benzema) en prennent pour leur compte. Malgré quelques fautes de goût ponctuant ici et là le disque, Rohff rassure sur le principal : il rappe toujours aussi bien. – Mehdi

Les Gars du H – « La Légende (Drake – Light Up) »

Parce que Les Gars du H ont ce quelque chose des grands duos de la fin du siècle dernier. Parce que Za est irrésistible quand il « crache au mic comme Pac aux caméras sa salive ». Parce que Prodige est son complément idoine et que derrière chaque Ill, il y a un Cassidy. Parce qu’à l’époque où les réussites artistiques tiennent essentiellement de la construction d’un personnage, on ne peut se permettre de snober ceux qui n’ont pas besoin de cela. Parce que pendant nos rap awards, Za parle au parloir. Parce qu’il ne tient qu’à lui d’entrer dans la légende quand les portes s’ouvriront, enfin. – Diamantaire

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7 commentaires

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  • Fabrice,

    Deux Rennais dans le lot, ça fait plaisir !

  • pierrerie,

    Merci pour ces listes trimestrielles!

  • BB,

    Ah ouais à part 100 zek, Nemir & Ali, le classement est pas terrible…

  • Diamantaire,

    Si tu parles de la tape des Gars du H (ZA et Prodige) sortie dernièrement (et dont le son choisi ici est issu), elle est dispo sur Bruxelles, t’as les points de ventes sur le FB du label et aussi un numéro de tel pour la VPC : https://www.facebook.com/pages/S6RecordZ/212022545486453?fref=ts

    Si tu parles de la tape de ZA en solo sortie il y a déjà 2 ou 3 ans, tu peux l’écouter et la télécharger ici : http://zamusik.bandcamp.com/album/za-dj-poska-brutal-muzik-r-dition

    Y a également 2/3 sons cool de ZA dispo’ sur cette compil’ : http://linssmokingsection.bandcamp.com/releases

    Devrait y avoir du neuf en 2014, voilà, à+.

  • Spip,

    Quelqu’un sait où on peut trouver la tape de ZA ? Sur le net ou même à Bx ?

  • Flow,

    Sinon l’horrible faute d’orthographe sur le titre du morceau de Juicy P on en parle ou pas haha ?

  • yacine,

    Le quatrième album de Sniper était très solide, c’est vrai, dans un registre assez sobre de rap de trentenaires armés de leur seul savoir faire. J’avais cru comprendre qu’il avait plutôt correctement marché d’ailleurs, sans arriver au score de l’époque Blacko. Aketo était cool en itw, ça me rend curieux.