Décryptage

Le monde fascinant des tracklisting imaginaires

Dans le rap, il suffit de peu de choses pour rêver. Postés à la hâte sur le web, les tracklistings hypothétiques d’albums sont la fusion entre le fantasme de fan et le teaser officiel. Retour sur six cas d’école.

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C’est comme un rituel. Le lancement d’un album-événement s’accompagne toujours de plusieurs étapes de séduction méticuleusement orchestrées : un tweet évocateur, une pochette, un bout de single… Parmi elles, le rumored tracklist – liste hypothétique des morceaux qui composeront l’album – fait figure de fusion ultime entre le fantasme de fan et le bruit de couloirs. Glissées par un insider bien informé ou inventées par un directeur artistique de forum, ces quelques lignes d’information vaguement exclusives sont en soi une œuvre à part entière, à l’heure où le mystère devient une plus-value rare dans le marketing musical.

Il y a quelques jours, iTunes publiait un tracklisting quasi-ésotérique (et accessoirement vide) de Yeezus, le prochain Kanye West. Cette semaine, un nouveau palier a été franchi : sur Instagram, le père de Drake aurait balancé la photo d’un possible tracklisting pour Nothing Was The Same, troisième album du fiston. Et quel tracklisting : les 17 titres dévoilés ressemblent à peu près à un album idéal pour Drake, entre rap Georges V, chauvinisme torontois et ponts inespérés avec ses homologues mutants (Clams Casino ! Frank Ocean ! James Blake !). Drake a malheureusement démenti en un retweet la rumeur (il bluffe ?), mais l’épisode confirme une chose : un beau tracklisting imaginaire vaut presque autant qu’un disque réussi (demandez à Dr. Dre). Retour sur six cas d’école.

Watch The Throne vu sur Nahright.com

L’information principale dévoilée par ce tracklisting, c’est que « Ni**as in Paris » s’est d’abord appelé « That Shit Crazy (hypothèse : le mot « Cray » s’est imposé suite à un marmonnement accidentel de Kanye West). On note d’ailleurs la présence d’un « Living So Italian », son probable jumeau milanais coupé au montage. Ce tracklisting-là n’annonce que deux invités : Beyoncé et Bruno Mars. Au final, le malheureux Mars se retrouvera planqué au fond d’une parenthèse dans les crédits du morceau, pendant que Frank Ocean décrochera en dernière minute deux places de choix en ouverture et fermeture du disque. Impossible de savoir enfin si « We Are Young » est bien le même morceau que le gros tube du groupe Fun. Pièce au dossier : le titre a été écrit par Jeffrey Bhasker, collaborateur fidèle de Kanye.

Thank Me Later vu sur Thisis50.com

Bordélique mais assez vraisemblable (« Toronto is Me » fait très Drake), ce tracklisting retrouvé sur Thisis50.com (qui annonce une « source inside » mentionnée nulle part dans l’article) donne un aperçu intéressant de ce qu’aurait pu être le premier album du Canadien. Parmi les featurings spectaculaires et non concrétisés (Dr Dre, Eminem et un Andre 3000 invité l’album d’après), on note la présence du superbe « Afrika Boombatta (featuring Lil Wayne & Young Jeezy) », qui semble représenter à lui seul l’espoir ultime de réconciliation entre la Zulu Nation et YMCMB.

The Marshall Mathers LP vu sur Musiccollection.com

C’est quasiment une pièce de collection : une brève préhistorique (1999 !), postée sur un site espagnol, qui donne le détail du deuxième album d’Eminem (titre de l’article: « Eminem drops da bomb.« ). Malheureusement brouillonne (« Bitch Please Part II » est suivi de… « BP2 »), la liste contient tout de même deux merveilles : « Jimmy, Bobby and Mike » (storytelling sur Jimmy Iovine ?) et « Battlecatz », collaboration mort-née avec le rival Canibus, qui fait encore sourire quelques fans. L’auteur de l’article annonce la sortie de « Kidz » en deuxième single. Le titre sera finalement un simple bonus track mais peu importe, l’intention était belle.

Curtis vu sur Nahright.com

La redécouverte du tracklisting imaginaire de Curtis rappelle un fait toujours attristant : 50 Cent n’est plus bankable depuis une demi-douzaine d’années. En 2007, Curtis avait été accompagné d’une campagne de promotion poussive qui reposait presque exclusivement sur sa concurrence artificielle avec Graduation, troisième album de Kanye West qui sortait le même jour (et qui mériterait aussi son étude de cas). Difficile de savoir si ce tracklisting avait vraiment vocation à exciter l’intérêt des fans, ou si 50 Cent peinait vraiment à boucler son album. Vu la suite de sa carrière (et son divorce interminable avec le label Interscope), la deuxième option semble assez crédible. Détail intrigant : « Ayo Technology » est alors absent du tracklisting, ce qui confirme définitivement son statut de single de la dernière chance.*

The Carter III vu sur Rapbasement.com

Assez crédible – l’ensemble des morceaux de l’album définitif sont présents dans le désordre – le tracklisting de The Carter III annonce des productions de Wyclef et Will.i.am (finalement remplacés par deux producteurs moins connus). Cette liste laisse imaginer qu’en dernière minute, Lil Wayne et son équipe ont procédé à des coupes franches : cinq morceaux vont disparaître de l’album final (« Gotta Stunt » erre désormais sur YouTube, raison suffisante pour aller se remémorer le look improbable de la moitié blonde de The Runners). On se prendrait presque à rêver que ce dégraissage à -25% soit systématiquement appliqué à tous les albums de plus de 60 minutes.

The Blueprint 3 vu sur 2dopeboyz.com

Cet assemblage foutraque évoque à la fois le pire de Kingdom Come (Chris Martin est encore annoncé), le souvenir de hauts faits d’armes (Scarface de retour) et le fantasme usé d’une vraie collaboration satisfaisante avec Nas (« S-L-U Part Two »). A noter surtout, l’hilarant « The Audacity of Dope », le genre de jeu de mots mi-corporate, mi-illicite que Jay-Z peut produire à la chaîne, et qui constitue ici un parfait contrepoint à « Election Night (We Believe in Obama) », malheureusement beaucoup trop gros pour être vrai. Jay-Z étant le champion des tracklistings imaginaires (la pub mythique pour le Black Album dans XXL nous donne encore des frissons), cette liste réussit l’exploit de n’avoir strictement aucun point commun avec le disque tel qu’il sortira un an plus tard. On aurait du s’en douter : la mention « (feat. and prod. By Jay Electronica) » en plage 4 sous-entendait bien que ce tracklisting ne pouvait être qu’une vue de l’esprit.

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6 commentaires

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  • JB,

    Bien vu, j’aurais pas du me fier au commentaire de Nahright.

  • Roch,

    « Ayo technology » est bien dans le tracklisting de « Curtis », c’est juste qu’il s’appelle « She Wants It ». D’ailleurs quand le morceau a été leaké, il s’appelait encore comme ça.

  • blanc mal rasé,

    Génial cet article ahah. Si vous pouviez en faire d’autres!

  • JB,

    @POPO : Bizarrement il n’y a aucun scan correct sur le net. J’ai juste trouvé une image pourrie mais je veux même pas la poster, elle rend pas justice à la pub d’origine.

  • Popo,

    « la pub mythique pour le Black Album dans XXL nous donne encore des frissons »
    un lien?

  • borsalino,

    en tous les cas le fake? tracklist de drake nothing was the same est de loin le meilleur ! tout colle parfaitement.