Touch the Air 2012
Live Report

Touch the Air 2012

Retour sur les verts pâturages suisses pour une rétrospective de l’édition 2012 de Touch the Air, gros festival hip-hop de ce début d’été. Entre ambiances de mousson, supers guerriers et spectacles son et lumière.

Photographies : AL

Introduction « Throw Your Hands in the Air »

Pour commencer, un résumé des épisodes précédents : il y a deux ans de cela, à Zurich, était organisé Touch the Lake. La volonté était de se démarquer des deux grands autres festivals Hip-Hop de Suisse, le très populaire Openair Frauenfeld et le Royal Arena Festival de Bienne, plus destiné aux connaisseurs. Était donc proposée une programmation diversifiée, susceptible de ravir tous les amateurs de rap, qu’il soit grand public (Snoop Dogg, Pitbull), moins exposé (A.O.T.P., Sean Price) ou germanophone (Kool Savas, Prinz Pi). Et surtout, la manifestation avait lieu en marge de la Zürifäscht, la fête de la ville ayant lieu tous les trois ans, et se déroulait sur un site magnifique, sur les bords du lac Zürichsee. Un cadre somptueux, et une idée brillante. A part pour ces satanés Français, persuadés que la Suisse n’est que rase-campagne, et qui apprendront à leur dépens que les jours de célébration les nombres de rues barrées et de passants augmentent de façon exponentielle. Heureusement que la flotte était là pour soulager de ces heures à tourner en rond sous le cagnard.

En 2011, rien à célébrer dans la ville la plus chère au monde. Le choix a donc été fait de quitter le milieu urbain pour délocaliser à la campagne, à Wohlen, commune située une trentaine de kilomètres à l’ouest de Zurich. Touch the Lake est ainsi devenu Touch the Air. Et l’éclectisme fût poussé encore plus loin, artistes Hip-Hop côtoyant DJs Electro. La line-up rap s’était également considérablement étoffée : s’y trouvaient, entre autres, Ludacris, Redman & Method Man, Lords of the Underground, Dilated Peoples, ainsi que les Français Akhenaton, Faf la Rage et la Sexion d’Assaut. Sous un temps idéal, le week-end avait été une grande réussite.

Jeudi « The Chosen Few »

Nous voilà en 2012. Il faudra encore attendre un an pour la prochaine Zürifäscht, donc direction la paisible (le reste de l’année) commune de Wohlen. L’annonce d’une programmation plutôt solide a été ternie par une décision pour le moins étrange : prévue pour se dérouler du jeudi 21 juin au dimanche 24 juin, cette nouvelle mouture de Touch the Air est finalement réduite à trois jours. Mais débutera le jeudi pour s’achever le samedi, plutôt que de s’étendre du vendredi au dimanche comme le voudrait une certaine logique. Ceux qui travaillent vous remercient. Selon les témoignages des chanceux qui ont pu être présents, c’est donc dans une ambiance assez intimiste que s’est déroulée la première soirée. Toutefois, les veinards ne le sont pas restés longtemps, une vague histoire de karma certainement. Si les onomatopées de Sefyu n’ont pas été backées par Dame Nature, la météo a ensuite décidé de teaser de façon un peu brutale la prochaine édition du festival, en lâchant des pluies torrentielles sur le site, vite transformé en bourbier. C’est dans cette ambiance apocalyptique que la Boot Camp Click, amputée de Sean Price, a livré une prestation comme d’habitude très convaincante malgré les conditions. « Sound Bwoy Bureil » sous le déluge, ça doit avoir de la gueule quand même. La suite, ce fût Talib Kweli, Tyga et Pitbull. Si le premier a fait le boulot, les rares retours quant aux sets des deux autres ne furent pas particulièrement élogieux.

Vendredi « Time 4 Sum Aksion »

Vendredi commence par une bonne nouvelle. Redman a loupé son avion, il passera donc une heure plus tard que prévu. De quoi prendre le temps de se paumer sur l’autoroute, de maudire les itinéraires Viamichelin et d’arriver quelques minutes avant le début du concert pour acheter des bières. Et de prendre peur : désormais, c’est plus de 7 € la canette, avec la consigne certes mais quand même. Le nombre de cadavres jonchant les pelouses semble confirmer que, tel le nuage de Tchernobyl s’étant arrêté aux frontières françaises, la crise économique n’a jamais atteint les contrées helvètes. Tant pis, les virées au Lidl rythmeront le reste du séjour. Mais place à la musique : flanqué de son ombre Ready Roc, Redman débarque. Avec son afro imposante et son corps décharné, Reggie Noble a des faux-airs d’Afro Samurai. Sauf que vu ses yeux vitreux, le garçon serait beaucoup plus dangereux pour lui-même que pour les autres avec un sabre dans les mains. Les classiques s’enchaînent, de « Tim 4 Sum Aksion » à « Da Rockwilder », de « Whateva Man » à « Let’s Get Dirty ». Avec une petite déception quand même : un concert de Redman, ça ressemble plus à un concert de Redman et Method Man sans Method Man qu’à autre chose. Les mêmes enchaînements, les mêmes jeux avec le public, les mêmes beats pour clore le set (« Kick, Push » de Lupe Fiasco, « That’s What I’m Talkin’ about » de WC). Mais ne boudons pas notre plaisir : il y a du charisme, de l’expérience, des bangers en pagaille. Finalement, c’est tout ce qu’on demande.

Le prochain à fouler les planches est l’Anglais Dizzee Rascal. Difficile d’apprécier la prestation du Londonien sans être fan de grime, les sonorités organiques et très rudes étant encore plus pesantes en live. Il est toutefois un peu regrettable que l’énergie et le talent que Dizzee montre sur disque ne soient pas vraiment transposés en concert. Cela permettrait aux personnes n’étant pas forcément inconditionnelles du bonhomme de passer en partie outre cette musique difficile d’accès. Après une vingtaine de minutes arrive donc le moment d’aller se ravitailler à la voiture.

Au retour, c’est une ambiance radicalement différente sur la scène, sombre et enfumée. Accompagnés de leur DJ et d’Eric Bobo aux percussions, les deux MCs de Cypress Hill débarquent, fringués comme des bikers. Visiblement, Sen Dog a décidé de taffer dur pour avoir plus de répliques dans la prochaine saison de Sons of Anarchy. Comme leur pote Redman, présent sur le côté de la scène, les Angelinos enchaînent les classiques, comme « Tequilla Sunrise », « Dr. Greenthumb », et cette multitude de titres où ils parlent de buter des gens ou de fumer de l’herbe, voire de faire les deux à la fois. Les ficelles pour ravir le public sont connues mais elles fonctionnent toujours à merveille : B-Real qui allume un joint sous les vivas de la foule, les lala lala lala lalaaaa de « Hand on the Pump » répétés à tue-tête, le solo de Bobo. Et pour emballer l’affaire, on termine par un « Rock Superstar » endiablé. Rien de nouveau sous le soleil californien ni dans la nuit suisse. Si ce n’est ces quelques titres récents présentés, tirés d’un projet avec un DJ Dubstep de Londres. Voilà en tout cas ce qu’il convient d’appeler des valeurs sûres.

Samedi « We Will Rob You »

Le samedi après-midi est consacré aux artistes locaux. Premier headliner à 17h en la personne d’Evidence. Un peu comme un super saiyan, « Mr. Slow Flow » donne l’impression depuis quelques années de devenir à chaque seconde plus fort. Passé du rappeur lambda et sans imagination à un statut de MC dont on attend avec impatience les nouvelles sorties, EV traduit également cette métamorphose sur scène. Sans backeur, sous une grosse chaleur, le garçon lâche un set où il ne puise que dans son catalogue, sans aucun emprunt à Dilated Peoples. Et ça fonctionne. Le créneau horaire n’est pas facile, le public est assez clairsemé, mais Evidence garde le sourire. Et remporte l’adhésion sans difficulté, à renfort de gros morceaux (« To Be Continued… », « You », « The Red Carpet »). C’était un plaisir de le revoir, vivement la prochaine fois.

Petit intermède germanophone, avec les Munichois de Blumentopf et leur rap vif et plein de bonne humeur. La suite est internationale : débarquent les trois MCs et le DJ de Psy 4 de la Rime, leur accent marseillais, leurs origines comoriennes et leurs blazes italiens. Un constat s’impose d’emblée : la bande de Soprano est beaucoup plus facilement supportable en live que sur disque. Il faut même avouer que le boulot est fait de façon propre et que les garçons savent se mettre le public dans la poche, qu’il soit francophone ou non. Après un grand nom de la scène française, un mastodonte de celle d’outre-Rhin en la personne de Bushido. Rien d’exceptionnel musicalement, mais le soutien et l’enthousiasme du public de ces festivals pour les grandes figures du rap allemand est toujours impressionnant.

Arrivent ensuite BoB, ses zikos, ses choristes, ses morceaux calibrés pour les grandes chaînes musicales. C’est donc l’heure d’aller se sustenter et se déshydrater. Bonne initiative : la suite a de quoi couper l’appétit. Est en effet programmé « Wu Legends ». Il a ainsi été décidé du côté de Staten Island que quand moins de cinq membres du Wu se produiraient ensemble, l’appellation « Wu-Tang Clan » serait abandonnée au profit de celle de « Wu Legends ». Il y a donc un certain sens de l’éthique au sein de la troupe de RZA. Mais pas trop non plus : visiblement, le procédé autorise quand même à envoyer un « frère de » en béquilles (Streetlife), à inclure dans le quatuor un gars que personne n’est parvenu à reconnaître et à ne pas effectuer de balances, à en juger par la prestation de GZA qui a passé le concert à bouger ses lèvres sans qu’aucun son ne soit audible. Pour le reste, c’est du classique : on rappe les couplets des absents, parfois par-dessus les voix déjà enregistrées. Seul avantage, le set fût très court. La prochaine étape est d’envoyer des sosies, ou pourquoi pas les enfants des membres : puisque sur le plan musical l’âge d’or du Wu semble très loin, autant essayer de devenir les références ultimes du foutage de gueule en concurrençant MF Doom.

Tout à notre colère, c’est déjà le dernier concert qui se profile. Certains se demandaient pourquoi ce crew de DJs français, C2C, avait été choisi pour clore le festival. Premier élément de réponse, les garçons se situent à mi-chemin entre Hip-Hop et Électro, les deux tendances musicales que Touch the Air cherche à faire cohabiter. Deuxième élément : leur show est incroyable. Un déferlement de scratches, de bidouillages sonores, d’effets de lumière et de figures géométriques projetées qui auront certainement fait gerber les plus intoxiqués mais surtout ravi le reste du public. Une expérience assez exceptionnelle ponctuée de temps forts, comme cet hommage parfait à MCA, les quatre DJs prenant les micros pour rapper le couplet du défunt sur Intergalactic. Le temps passé à bosser les chorégraphies, les enchaînements et à se caler pour rendre le tout fluide doit être monstrueux. Il n’a en tout cas pas empêché 20Syl de devenir l’un des rares rappeurs français à toucher du doigt le succès avec Hocus Pocus. Voilà qui force le respect pour lui et pour C2C. Comme pour l’équipe de Touch the Air, qui a effectivement trouvé ici le moyen idéal d’achever le festival.

The Epilogue « To Be Continued… »

Fin donc de cette édition 2012, avec quelques sérieux points noirs (la décision de commencer le jeudi, les prix pratiqués sur le site et le Wu), mais surtout pas mal de bons moments. Et un festival qui s’impose un peu plus comme une alternative valable à l’Openair Frauenfeld ou au Royal Arena. L’an prochain, Touch the Air redeviendra Touch the Lake, Zürifäscht oblige, retrouvant les bords du lac et une plus grande exposition avec désormais une réputation à défendre. Et, paraît-il, l’organisation voit les choses en grand pour l’occasion. On sera là pour juger sur pièce de ces ambitions.


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