Haroun, le flow qui fait kiffer scarlas et petites zoulettes
Concert

Haroun, le flow qui fait kiffer scarlas et petites zoulettes

Haroun et son public sont de la même trempe : toujours prêt à monter au front, peu importe le terrain. Retour sur le concert du membre de la Scred Connexion, venu défendre au Batofar son album solo : Au Front.

Prenez Polo avec son bonnet cousu par mémé vissé sur la tête et ses marqueurs confisqués par le vigile du Batofar. Il lui a pourtant dit la vérité : « je suis graphiste. » Soklak aurait bien répondu : « je suis artiste pictural. » Comme quoi, toute vérité s’interprète. Polo, il a rodé les albums de Fabe dès son adolescence et est revenu à la Scred avec Au front. « J’avais été très déçu par « Du mal à se confier » explique-t-il, stoïque sur les quais parisiens qui connaissent un hiver curieux. Comme la météo, c’est vrai que la France comme le monde hésitent. Réformes, pétrole, politique étrangère, industrie du disque, amplitude thermique qui ressemble aux cours de la bourse… Bref, tous les climats sont à géométrie variable en ce début 2008 où rien n’a jamais semblé aussi peu acquis. A quelques centaines de mètres du Quai François Mauriac, le Ministère des finances, où les fonctionnaires du Trésor ont des sueurs froides. En face, la Bibliothèque Nationale, icône moderne de la nostalgie d’un socialisme qui a tout fait pour s’approprier la culture. A tort peut-être, à travers surement. Caché derrière ce panorama, le POPB, la plus grosse machine de la capitale en matière de concert. Et puis entre deux eaux, il y a le Batofar amarré à la Seine, jamais aussi ocre et trouble qu’en hiver.

A l’Abcdr, on aime bien les longues histoires d’amitiés et leurs folklores. Anthokadi a son mythique Guy Georges, moi j’ai Polo, qui avec sa grippe de Janvier est une sorte de Papa-au-Rhum version light. Il est parmi les premiers à s’engouffrer dans la petite salle, qu’il regarde se remplir doucement. R-Ash, l’acolyte de Haroun et l’un des DJs français les plus cotés du moment, y enchaine classiques américains saupoudrés avec parcimonie de claques hexagonales. Deux pupitres sont installés devant la table du mixmaster du soir, décidément trop haute pour voir ses mains. Polo enrage. Pour lui, écouter un Dj sans voir ses mains, ce n’est plus que l’entendre. Sceptique devant mixvibes, il aurait aimé constater de visu ce que donne ces nouveaux outils qu’affectionnent les turntablists. Tant pis, ses yeux se rabattront sur les rares représentantes de la gente féminine présentes. Prenant son mal en patience et sa première déception sous le bras, il ira noyer son virus de la grippe en voie d’extinction au fond d’une bière prise au bar, quasi désert, du Batofar. L’ambiance qui règne ici est étrange. Sans être tendue, elle est ambivalente. Les b-boys semblent se jauger du regard, qu’ils préfèrent aux mots.  To be real or not to be real, that is the question.

La scène s’agite doucement, R-Ash achève son mix, et le staff de Justlikevibes prend le micro pour annoncer le début d’un jeu concept intitulé Questions pour un B-Boy. Sorte de Questions pour un champion, le jeu importé d’outre-atlantique voit deux personnalités issues du Hip-Hop s’affronter sur leurs connaissances rapologiques. Cassidy fait face à JR Ewing. Quand le premier explique avoir essayé tant bien que mal de réviser, le second adopte une démarche coulante voire avachie et laisse balader ses yeux fendus et hilares au dessus de la ligne d’horizon tracée par son verre. Cuir et survet versus baggy-jeans et T-Shirt débraillé, tête rasée contre casquette. Pas d’encyclopédie Larousse à la clef mais plutôt quelques beaux bides, arbitrés par Bachir, qui face à la timidité et au manque d’engouement du public s’évertuera à appliquer une maxime des Svinkels : « Si il y a un abcès comme Julien je le perce. » Ca ne suffira pas. Si l’intention est bonne et à creuser, le concept n’est définitivement pas assez rodé et rythmé, encore trop « artisanal ». Peut-être à cause d’un manque d’habillages sonores et visuels même si les vannes et absences de Jr Ewing se sont collées à merveille sur ce que les spectateurs ont pris dans leur majorité pour un vide spatio-temporel. Cassidy et son complice d’un soir remporteront le jeu grâce à un brillant érudit perdu dans le public, soufflant des réponses assez difficiles pour faire autant autorité que Don King donnant des consignes à un boxeur. Quant à Polo, à défaut de pouvoir noyer l’attente dans plus d’une pinte coupée à l’eau, il prend son mal en patience avec ses antiviraux. Confidence de comptoir : « Je crains que le mélange médicaments / alcool me fasse écouter Haroun depuis les chiottes de ce rafiot. »

Daz-ini prend la relève et vient présenter son album Le magicien. La tache n’est pas évidente pour la seconde moitié de Force Pure, qui constatera rapidement que l’immense majorité des gens présents sont à l’image de Polo : ils sont là pour Haroun et personne d’autre. Accompagné de son DJ et d’un graffeur réalisant des mini-toiles en direct -offertes au public tout au long du concert-, Daz a d’abord semblé quelque peu retenu et s’est parfois pris les pieds dans le tapis. Le public s’est pourtant laissé aller à découvrir un répertoire chaleureux, offert par un rappeur possédant une qualité qui manque a de nombreux MCs sur scène : poser avec sourire et conviction tout en lâchant des paroles qui respirent l’humanité. Il ne fait ni dans la légèreté ni dans le divertissement, simplement dans la sincérité, même si son flow et ses phases ont parfois un côté surfait. Son attitude transpire le plaisir de rapper, celui de lâcher des mots soignés distillés comme des remèdes qui n’ont pas le goût de l’huile de foie de morue de la mémé tricoteuse de Polo. Et tant pis si il butte à plusieurs reprises sur le début d’un morceau, il l’enverra balader avec autodérision pour reprendre son concert, toujours avec le sourire. Il compensera ses légères erreurs de relance de flow par un slam d’une qualité rare. Définitivement, Daz-Ini a su donner une portée encore plus touchante à ses textes, fait de confidences, de chaleur et de sensibilités, dépassant ainsi le cadre parfois très feutré de son album. La fosse ne s’y est pas trompé en finissant par bouger la tête. A défaut d’engouement hors-norme et d’acclamations, Daz-Ini aura réussi à faire passer son état d’esprit. Même Polo, éternel sceptique, -sans alcool la grippe est moins folle expliquera-t-il- a été vu en train de laisser son corps chavirer sur le lit que creusent les « bonnes vibes » des textes du MC.

Les heures ont passé, la soirée est bien entamée. Les auditeurs de Haroun, venus en force, rongent leur frein. Daz-Ini a quitté les planches, désormais envahies d’une fumée teintée par des projecteurs rougeoyants. R-Ash rejoint la scène et lance l’intro d’Au front en se frottant les mains. La voix d’Haroun surgit des coulisses. Si un crew français ne fait pas de rap slogan tout en ayant le meilleur, c’est bien celui d’Haroun : « Jamais dans la tendance ? » « Mais toujours dans la bonne direction !!!! » répond le public après un premier temps de surprise. Des ovations répondent aux interpellations de celui dont le flow fait kiffer les scarlas et les petites zoulettes. Pour ceux qui en doutaient encore, ce soir, le Batofar est acquis au MC de Barbès, qui à chacun de ses mots, fait tanguer le navire comme une bouteille pleine de nitroglycérine. Polo n’est pas de ceux là. Il n’a jamais douté et fait parti de ces nombreuses personnes qui communient maintenant ensemble en backant le MC. Il y a trois heures ces mêmes personnes se regardaient de manière suspicieuse. Les miracles de la musique.

Haroun en concert, c’est à l’image de son album : « dès l’intro tu sais que c’est du lourd. » Le MC est accompagné de Warlock et Nasme. Ce dernier prend une toute autre dimension sur scène, particulièrement lors d’un morceau solo qui frappera jusqu’en fond de cale. Le zonard traverse lui Au front de long en large, lâchant immédiatement l’énorme ‘Mon Poster’ histoire de plonger le Batofar et son public dans l’ambiance d’une mer démontée. Le flow d’Haroun est digne de celui délivré sur son opus. Sa voix et son ton sont strictement les mêmes, accentués par ses backeurs qui tiennent leur rôle de soutien et occupent l’espace tout en mouvement. Les premiers rangs sont totalement captivés par celui « qui n’est pas le beur qu’on tartine ni celui qu’on baratine ». Public de guerriers : bras en l’air et mains battant le rythme, têtes nues ou encapuchonées qui hochent à chaque kick et punchlines backées en force, en premier lieu par le virus grippal que Polo a décidé de partager avec ses congénères de tranchées. A la guerre comme à la guerre. « Mon rap est au front. »

Entre deux titres, Haroun claque un medley de ses couplets avec la Scred. Peut-être que le Batofar reste cool, mais sur le beat il gaze. R-Ash distille modérément mais avec brio ses impitoyables scratches. Plusieurs passages de l’album, déjà très forts, gagnent en puissance de frappe, que ce soit sur des faces B ou sur des détails, comme le sampling de Nicolas Sarkozy ou le dialogue entre Nasme, Warlock et Haroun, qui reconstituent la vente d’une barrette. Quelques pétards daignent s’allumer dans les travées.  C’est alors qu’un colosse de plus de deux mètres apparait et fend la foule. Démarche de terminator, vue de sioux et odorat de chien de douane pour un videur qui vit son métier comme un lanceur de nain. Haroun est lui à la barre de son set. « Dans  le pera jusqu’au cou », il s’accapare la petite scène du Bato’, check des mains et arpente l’estrade jusque dans ses moindres recoins, multipliant les échanges avec son public sans aligner une seule excentricité.

Hormis l’organisation du Batofar, plus personne ne semble se demander depuis combien de temps les MCs sont sur scène. Une chose est sure Haroun a en tout cas écumé la majorité de son album et joue avec R-Ash et son pitch pour démarrer ‘Les routes de l’oseille’. Hommage au sampling et à la soul, ça vaut bien le plaisir de faire écouter le sample original du morceau avant de l’accélérer pour le kicker sur le beat. Aussitôt dit, aussitôt fait, sauf qu’après quelques mesures, le morceau s’interrompt brutalement. Haroun interpelle les techniciens à la console. Dans le public, on comprend que le son des retours scène a été coupé. Chacun sa manière de faire passer le message, et celle-ci, pas des plus respectueuses, a failli coûter au Batofar une mutinerie générale.  Nombreux sont ceux qui doivent se dire que l’équipe de la salle a eu de la chance de tomber sur Haroun, qui plus tôt, avait expliqué qu’il ne fallait pas donner de pain à manger à ceux qui attaquent le rap et qu’il n’y a rien à gagner dans la surenchère de la racaillerie. Le MC fait autorité. Assez pour éteindre le début d’incendie avec quelques mots raisonnés et bien placés, tout en faisant comprendre aux ingés son du bateau qu’ici, « c’est pas la foire à la saucisse ».

« J’ai le flow qui fait kiffer les scarlas et les petites zoulettes quand je suis sur scène dans mon survet’ plein de trous de boulettes »

C’est sur cette phase qu’Haroun termine son set, après avoir remercié un public chaud bouillant. « Ça fait super plaisir, on avait une bonne salle, j’ai fait plein de fois le Batofar et c’était des autres ambiances que je ne kiffe pas trop » confiera-t-il, avant de promettre une prochaine scène plus vaste.  Le coup de pression des équipes techniques du Bato’ a neutralisé toute velléité de rappel. Dommage, il parait que Nasme est un excellent improvisateur. Polo lui ressort d’une grappe de b-boys : « c’était énorme, ce mec tue ! La preuve, les mecs ont tellement kiffé que les quelques jolies belettes que j’ai zieuté ne se sont ni faites chauffer, ni faites peloter ! J’ai jamais vu ça dans un concert ! » Il perd pas le nord Polo. Quant à Haroun, auteur d’un des meilleurs albums français de 2007 (dont il n’a pas fait une seule fois la promo), il vient probablement de placer la barre très haut pour les rappeurs hexagonaux qui arpenteront les scènes en 2008. L’année a débuté il y a seulement 25 jours. En terme de concert, elle aurait pu se finir ce soir. Ca n’aurait pas été grave.

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