Baloji en showcase à Lyon
Concert

Baloji en showcase à Lyon

Un après-midi d’hiver en compagnie de Baloji, auteur de l’album « Hôtel Impala » et du désormais légendaire ‘Tout ceci ne vous rendra pas le Congo’. Approchez-vous et zoomez.

Jeudi 28 février 2008, 15h30, sixième arrondissement de Lyon. Au même moment, à Paris, une partie de l’Abcdr d’hier, d’aujourd’hui et peut-être de demain se prépare à kiffer Cunninlynguists en concert. Au même moment, ailleurs dans Paris, une autre partie du staff ne sait pas encore qu’elle n’écoutera plus jamais Looptroop du même œil… A Lyon – ville dont l’élimination européenne du club de foot-phare déclenche chaque année au mois de mars le même hallali de hyènes qui n’ont jamais vu un Papa-au-Rhum pleurer -, une violente explosion a déchiré trois heures plus tôt le quartier de la Part-Dieu. Cela s’est passé au n°117 du cours Lafayette. L’histoire ? En fin de matinée, un branchement de gaz avait été arraché par accident lors de travaux dans le secteur. Dépêchés sur place pour évacuer les riverains, des pompiers, des policiers et des techniciens d’EDF ont soudain été fauchés par une déflagration, puis par l’incendie qui s’en est suivi, soufflant un immeuble. Bilan : un bloc évacué, quarante blessés et un tué – le pompier Stéphane Abbès, bien connu de quelques Lyonnais pour sa deuxième passion, le café-théâtre.

A quelques rues de là, dans la quiétude du New’s Café, Baloji sirote un jus de mangue. Il est accompagné de Julien, son manager parisien. C’est à leur table que le rendez-vous avec PJ d’Acontresens a été fixé.

Auteur par le passé de quelques chroniques dithyrambiques de l’œuvre de Starflam, l’ex-groupe de Baloji, PJ bloque depuis cinq semaines sur « Hotel Impala », le premier solo du grand échassier liégeois… Etonnant projet que cet album en forme de puzzle identitaire, qui s’ouvre sur huit minutes si monumentales (‘Tout ceci ne vous rendra pas le Congo’) qu’un auditeur Congolais les a même qualifiées de « Shaft » à l’africaine – c’est dire. Dès le début, Baloji a su que le disque se terminerait par le méconnu ‘I’m going home’ de Marvin Gaye – rebaptisé ‘Nakuenda’ pour des raisons de droits -, titre perçu par l’auteur comme le récit parfait de tout ce qui l’a conduit jusqu’à cet « Hotel Impala » oedipement chargé.

L’entretien débute. Rentré deux jours plus tôt de Kinshasa – où l’accompagnait la journaliste Stéphanie Binet, de Libération -, Baloji se mange un jet lag d’un genre nouveau en la personne de PJ. Méticuleux tendance Aspeum – pléonasme -, celui-ci a en effet préparé une liste de questions acérées, dont l’énoncé à la précision de Teuton n’en finit pas de surprendre l’homme dont le prénom signifie « sorcier » en swahili. Dans Hotel Impala, le récit de sa vie de jeune trentenaire semble avoir été ghostwrité par Sophocle, Fatih Akin et Annie Ernaux. « Je trouve que l’idée qui caractérise le mieux le disque est celle de l’euphorie mélancolique, car je n’ai pas le droit d’être pessimiste, pas le droit d’oublier non plus » déclarait-il lors d’une précédente interview.

Baloji n’élude rien. Il parle puis écoute, répond puis interroge à son tour, fasciné qu’il est par la connaissance que PJ semble avoir de son parcours et de son patrimoine lyrical – « littéraire », précise-t-il, en référence aux « milliers d’heures passées à chercher les mots justes » et aux sentiments contrastés que lui inspire cette nouvelle génération d’auditeurs qui écoute beaucoup mais pas vraiment en fait. Il parle des années Starflam, de la distance qui s’est installée entre les ex-membres, de ses 45 jours de rétention faute de papiers. Il parle de son impasse créative de 2003 – « je n’avais plus rien à dire » –, puis de l’impact créatif de 2004 : une lettre en provenance de la RDC, écrite de la main de sa mère naturelle. La première lettre reçue d’elle, comme un 11-septembre à l’envers – soudain les tours se relèvent et les avions font marche arrière. Il vivait alors en Belgique depuis un quart de siècle. Elle venait de l’apercevoir puis de le reconnaître lui, son fils à elle, dans un clip diffusé à la télévision là-bas, tout là-bas, dans sa République démocratique du Congo natale. Elle lui a alors parlé de son père, de cette nuit, de cet adieu de raison et de cet exil sans elle, en Belgique. Il parle de ce sentiment troublant, qui l’habite depuis, de se sentir parfois « Blanc aux cheveux crépus« , se contentant de sourire à la question « est-ce mieux qu’un Noir aux cheveux lisses ? » Il parle de son « Cahier d’un retour au pays natal » à lui, de son T-shirt floqué « Nègres de l’Afrique » et des commentaires qu’il suscita dans les rues kinoises. Il évoque sa prise de conscience récente – lui l’ex-MC Balo autoproclamé « Afropéen » et pourfendeur de l’incohérence de « ces altermondialistes qui bouffent au McDo » – des massacres des Kasaiens dans sa province natale du Katanga, le dernier en date remontant « au début des années 90 et ayant causé 700 000 morts« . Vivre en Europe ? « Une chance inouïe, mon pote. Nous avons ici le privilège d’avoir des opportunités. Tu ne peux pas savoir ce que cette simple phrase peut représenter pour beaucoup de personnes… » Il se félicite à l’évocation des noms de Despo Rutti, Escobar Macson ou Lalcko, autres originaires de la sous-région ayant choisi d’élargir leurs thématiques du code postal à la terre-matrice – une nécessité dans ce coin du globe qu’un ancien international de judo aujourd’hui réfugié en France qualifiait récemment d' »israëlo-palestinien dans son background, dans son quotidien et dans ses perspectives » en matière de tensions multiséculaires, de cohabitation et de frontières (lire à cet égard les éloquents Carnets de Colette Braeckman). « Mais mes négros son trop Mobutu : dès que tu les mets bien, ils oublient tout« , préfère en rire Lalcko dans son titre ‘Lumumba’.

Baloji n’élude rien. Pas même l’accueil réservé à son disque par sa mère. Un disque écrit pour elle, qui mobilisa 56 musiciens et qu’il tint à lui remettre en main propre, chez elle au pays, fier comme un fils. Sa réaction ? Baloji esquisse un léger tressaillement du menton, effleure la chose. « Tu sais, elle vit tellement dans l’urgence, avec ses enfants… Elle a mille autres choses à penser. Lui offrir ce disque à cet instant, c’était presque déplacé. » Il est des pays où la musique se pratique parfois pour conscientiser, d’autres où elle sert surtout à se détendre et à oublier. Ecoutons à nouveau notre ex-international de judo congolais : « Vous me faites marrer vous les Français avec le « casse-toi pauvre con » de votre président. Nous, du temps de Mobutu, un mec lui aurait parlé comme le mec a parlé à votre président, Mobutu n’aurait même pas pris la peine de lui répondre. Par contre, le lendemain, il y a des chances que le mec en question, sa femme et ses enfants, vous finissiez par les retrouver au bord d’une route, la tête d’un côté de la chaussée et le reste du corps de l’autre. » Il y a un monde entre ces deux réalités-là. Pour la mère, une simple moue. Pour le fils, un taquet aux cervicales. Allait-il faire dès lors comme le Sefyu de ‘Goulag’, rester « bras croisés, tête dans les bras » ? Non. Un peu à la façon de l’avocate qui clôt le « Bamako » d’Abderrahmane Sissako, Baloji parle en creux d’un « devoir de génération ». Depuis cette fameuse moue maternelle, il ne vit plus les morceaux d’Hotel Impala avec la même intensité qu’il les a conçus. « A présent je les exécute. » Un temps, puis un menton qui se relève. « Mais je me battrai pour ce disque et pour ces idées-là.« Jeudi 28 février 2008, 17h30, Fnac de la Part-Dieu. Soixante-cinq mois plus tôt presque jour pour jour, le regretté journaliste et cinéaste Christophe de Ponfilly se tenait debout au même endroit… Quelques rangées de chaises, un public qui s’assoit timidement face au mur. Au mur, un écran blanc. Sur l’écran blanc, un clip qui débute à l’aube et s’achève sur une poignée de sable enfuie. Ce clip, c’est celui de « Tout ceci ne vous rendra pas le Congo », sorte de version oratoire de « Rockets fall on Rocket Falls » de Godspeed You ! Black Emperor, pur produit de ce XXIème siècle qui commence à peine à ouvrir les yeux sur ce sur quoi les précédents les ont tant fermés.

Chiadé et d’une ampleur thématique peu commune, le clip attire les passants du magasin. Lorsqu’il s’achève, Baloji fait son entrée. Sourire, voix claire, aisance gestuelle de celui qui ne se pose plus de questions. Le décor est simple : un drapeau à l’effigie de l’Hôtel Impala – le vrai, celui que possédait son père du côté de Kolwezi -, une table sur laquelle est posée une valise d’où sort le son nécessaire pour interpréter les morceaux, une bouteille d’Evian et un verre en plastique. Debout, relax, l’auteur « exécute » quelques morceaux, non sans quelques petits mots d’explication préalable. Le très elliptique « Entre les lignes » précède ainsi le plus sec « Coup de gaz », relatif à sa propre genèse adultérine (« Pour lui un coup d’un soir, pour elle un coup du sort« ).. Amer portrait de père, bientôt compensé par la dédicace qui accompagne « Hôtel Impala », le morceau-titre de l’album : « Si cet album est bien dédié à ma mère, je tiens à dire que mon père est en filigrane tout du long. » Un père qu’il ne porte pas forcément dans son cœur mais que le temps lui aura permis, sinon de pardonner, au moins de comprendre : « Ta présence me manque mais ton absence me tempère« .

Tombant la veste pour découvrir un T-shirt à la gloire de Michael Jordan, Baloji s’attaque alors à « De l’autre côté de la mère », morceau écrit en l’honneur de sa mère adoptive. « Celle qui s’est mise à la place de ma vraie mère et qui a accepté d’éduquer le gosse d’une autre« , commente-t-il sobrement. Intime texte – comme les précédents. De ceux dont les lignes se découvriraient plutôt sous une couette à la lueur d’une lampe de poche, mais que l’artiste assume au point de l’asséner via un micro. Même Abd Al Malik n’était pas allé aussi loin dans le don de son histoire personnelle à l’Histoire. Baloji si. Il est des auditeurs pour qui un tel degré de sincérité confine à l’impudeur. D’autres en revanche ont conscience d’être en face d’une personne qui a franchi des paliers intimes que beaucoup n’atteindront peut-être jamais, et l’acceptent comme tel.

Ultime morceau de ce showcase : « Tout ceci ne vous rendra pas le Congo », en live et en direct. Les images du clip sont encore dans toutes les têtes. Le sorcier dans les rayons du supermarché, la fanfare d’un autre temps, les inscriptions au mur et le prêche final du comédien Dieudonné Kabongo – aperçu notamment dans le film Lumumba de Raoul Peck. Le changement de rythme du milieu du morceau (« Congo na bisso ») fait claquer les mains des spectateurs entre deux coups de bâtons (« Le Congolais reste le nègre de l’Afrique« , « Ils croient en Dieu avant de croire en eux« ). Un paradoxe de plus dans un pays où l’hymne national, en français, n’est intelligible que pour l’infime minorité de ceux qui auront pu étudier cette langue à l’école… Un réacteur d’avion, puis le morceau s’achève, et avec lui le showcase. L’assistance applaudit longuement cet homme étonnant.

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