Sortie

Fonky Family - Si Dieu veut...

Révélée par Akhenaton, la Fonky Family en 1998 est essentiellement connue pour « Bad Boys de Marseille » et, assez souvent, le groupe est comme réduit au statut de « petits d’IAM », une position qui n’enchante pas Pone, Djel, Sat, Menzo, Don Choa et Le Rat Luciano. Ils ont des choses à dire et des choses à prouver, et Si Dieu veut… est leur tribune, à eux-seuls. Personne ne chapeaute le groupe, dont les membres désignent naturellement Pone comme tête pensante artistique. Un choix intelligent puisque Pone est de ces gens qui ont tout à la fois en eux la folie du passionné et le recul du sage, et ce même à l’âge de vingt-cinq ans. Il porte donc la casquette de chef de chantier sur le premier album de la FF, un rôle lourd en responsabilités quand on a à ses côtés des talents comme Le Rat ou Sat. Chacun doit avoir la place de s’exprimer, sans que les identités propres des uns ne détruisent la logique du collectif. Les « Versets » qui séquencent le disque sont les espaces permettant à chaque membre du groupe de se montrer –Pone et Djel inclus, au sein d’un bordel magnifique. Car même si Pone a ce rôle de réalisateur, Si Dieu veut… n’est pas un album homogène par sa forme. Il y a quelque chose du foutoir dans ce disque, ce qui contribue à en faire un projet si touchant. Loin de l’organisation millimétrée que l’on connaît chez leurs aînés, ceux qui ne seront plus jamais les « petits d’IAM » laissent de la place à l’incertain, au déstructuré, ils sont des enfants du freestyle. Logique alors de retrouver à leurs côtés les X-Men sur « Maintenant ou jamais », ou bien Bruizza sur le « Verset V ». De ce premier album, on retiendra… tout. Libre à chacun de penser ou non qu’il est le meilleur du groupe, mais Si Dieu veut… est indubitablement une œuvre essentielle du rap français, et un classique ultime du rap marseillais. Parce qu’il n’est pas mécanique, il n’est pas le plus accessible. Ce n’est pas un disque facile, les ouvertures y sont rares, mais qu’il est puissant !

Sat

(MC de la Fonky Family)

“Fin 1996, IAM crée Côté Obscur, ils nous font des propositions de contrats et on signe. Très très vite, ils nous débloquent un budget pour qu’on ait un peu de matos et que Pone et Djel puissent travailler, qu’on puisse enregistrer des maquettes au studio Le Petit Mas à Martigues. On met au propre ce qu’on avait enregistré en bordel chez Pone. On travaillait beaucoup, donc le jour où ils nous ont dit « Feu ! » , on avait déjà une douzaine de titres de prêts. Mais on avait quand même une sacrée pression ! On savait qu’on n’avait pas le droit de se rater, qu’on ne devait pas laisser passer la chance qui nous était donnée. On plaque tout. Ceux qui taffaient arrêtent de taffer, ceux qui faisaient du business arrêtent le business, ceux qui allaient à l’école arrêtent l’école… C’est une période difficile : on n’a pas une thune, mais on se met à fond là-dedans. Pone a vraiment été le réalisateur artistique de l’album. Vu que tout se passait chez lui, il a su canaliser toutes ces énergies et faire en sorte que ça ressemble à quelque chose dans l’album, que tout ce qu’on faisait ressemble à des chansons. Un peu comme un RZA dans le Wu-Tang. C’est lui qui nous a suggéré les featurings, comme le morceau avec X-Men… Il avait beaucoup de recul sur tout ça. Pareil : pour mixer on se demandait à qui faire appel et c’est Pone qui a dit : « On veut Mario Rodriguez » . Nous on le regarde, l’air de dire : « C’est qui ? » Il nous dit de lui faire confiance, qu’il a vu son nom dans les albums de Mobb Deep, Notorious B.I.G., Mary J Blige, LL Cool J… Le gars qui a un son, quoi. Il voulait quelqu’un capable de nous aiguiller, de nous aider. On passe l’été 1997 à enregistrer l’album. On découvre parce qu’on n’a quasiment pas d’expérience de studio à part « Bad Boys de Marseille », on apprend beaucoup. Donc on fait l’album et on sent qu’il se passe un truc. Parce qu’en même temps qu’on le fait on continue d’avancer. Le jour on est en studio mais la nuit on écrit et on fait des beats… On ne dort presque pas : on aurait pu mourir à l’époque ! C’était un rythme de dingue mais on voulait qu’il soit parfait. Et à la fin de l’enregistrement on est satisfaits. Pourtant il n’y a pas plus imparfait que Si Dieu veut… ! Mais c’est ça qui fait son charme aussi. Une fois, j’ai entendu Jay-Z dire que le premier album est celui de l’innocence. Là c’est exactement ça : les morceaux qui durent six minutes, aucun format radio, le refrain qui arrive au bout de quatre minutes… Mais à l’époque on était super fiers de l’album : il y avait tout – le réalisme, la sincérité, la tristesse, la mélancolie et en même temps un côté léger, fou. Il résumait nos vies et chaque membre du groupe. Cet album, on l’a adoré, sauf au moment de partir en tournée parce qu’on s’est rendu compte qu’on n’avait rien pour la scène. Hormis « Sans rémission », c’était pas des morceaux qui se prêtaient à ça. Ils étaient trop lents, trop longs…” – Propos recueillis en janvier 2010 par L’Abcdr du Son

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