Sortie

Busta Flex - Busta Flex

« Pour que je cause, fais tourner le bédo ». Question : « tu me-fu toi ? ». Réponse : « Nan, mais c’est pour la rime et le style ». La rime et le style, voilà ce dont il est question. Réalisé par Kool Shen, produit par Sulee B Wax, DJ Mars, Zoxea ou encore Madizm, le premier album éponyme de Busta Flex est une impressionnante réunion de talents tous mis au service d’un seul homme. Rappeur tout-terrain, à l’aise dans tous les registres, du freestyle le plus sauvage au piano-violon le plus solennel, Busta Flex est un peu le Redman français : un monstre de maîtrise et d’inventivité. Capable de faire sourire (« J’fais mon job à plein temps »), de faire pleurer (« Pourquoi ? ») ou de faire bouger frénétiquement (« Le Zedou »), le rappeur d’Orgemont et son flow élastique s’immiscent partout sans forcer. Et si les thèmes et les tons sont variés, Valéry François est suffisamment charismatique pour englober le tout et créer un disque cohérent, sorte de portrait grand angle d’un jeune homme (vingt-et-un ans à l’époque) hyperactif, qui ne se prend pas trop au sérieux mais qui ne se fait aussi déjà plus aucune illusion. Car en filigrane de l’album se tisse une remarquable étude de la toxicité des rapports humains, au travail (« What Can I Do ? »), dans la famille (« Majeur »), dans la cité (« Pourquoi ? ») ou dans l’industrie musicale (« Ma force »), plus largement dans une société hypocrite et individualiste. Busta Flex, de part sa conception à plusieurs mains, répond de la plus belle des manières à cette problématique. Avec en point d’orgue le chef-d’œuvre « Esprits mafieux », en compagnie d’un Oxmo Puccino qui n’avait peut-être jamais paru aussi désenchanté.

Busta Flex

« J’avais arrêté l’école, je signais en édition : pour moi, j’étais lancé, j’étais en maison de disques. Peu importe que j’ai vingt ans, trente ans, c’était à moi de faire le taf et de montrer aux gens qui m’ont signé qu’ils pouvaient compter sur moi. Je prenais ça très au sérieux. Faire cet album, c’était une responsabilité. Les artistes que j’écoutais, dans le rap, la variété, le reggae, j’avais du respect pour ces gens-là, il fallait que je sois comme eux. Il faut respecter la musique, les gens. J’ai toujours voulu prouver que j’étais un artiste et que c’était mon travail. « Job à plein temps », c’est vraiment ça, montrer que je suis dedans. Parce que j’en ai bouffé du rap ! Je sais de quoi je parle, je sais ce qu’est le hip-hop. Ce morceau, c’était un justificatif. Mais attention, je m’amusais hein ! Je voulais juste que, de la même manière que je suis tombé amoureux du rap, les gens en tombent amoureux aussi. C’était important pour moi de le dire, mais aussi à ce que dans la forme, ça ressemble à ce que j’écoutais en rap américain et français. C’était ma mission.  Kool Shen décide de me réaliser, c’était un challenge pour lui comme pour moi.C’était mon premier album, je n’avais jamais été en studio si longtemps, dans ces conditions. On a commencé à enregistrer en septembre 1997, et on a fini en décembre. Je trouve ça correct, quatre mois. C’était cool : j’étais super motivé, il y a plein de titres qu’on n’a pas gardés. J’avais carte blanche, donc il n’y avait pas de frein. J’ai dû chercher des concepts, des morceaux à thèmes, choses que je n’avais pas et qu’il me fallait. C’est ce que Kool Shen me disait. Donc j’ai travaillé dans ce sens-là. C’était la fête pour moi. On me faisait écouter des productions et je choisissais selon ce que j’avais envie de faire. Fallait que ça ressemble à du East Coast : Mobb Deep, Redman, Busta Rhymes. Mon son normalement, c’est celui de Sulee B. Wax. Dans l’album, il m’a fait « Pourquoi ? ». Mais ça ressemble pas à du Sulee B., puisque lui, c’est un compositeur, alors que là, c’est une boucle. Du coup, le son qui me ressemblait dans cet album, c’est celui de MadIzm. Parce que chaque fois qu’il me faisait écouter des prods, je devenais ouf. Même si je les prenais pas pour moi, je captais toujours la vibe de ses prods. Je trouvais qu’elles collaient super bien à moi, à Kool Shen, à l’univers qu’on voulait. J’ai enregistré cet album avec une petite pression. Pas une pression lourde, mais dans cet esprit de battre le fer pendant qu’il est encore chaud. J’avais un gros buzz à ce moment-là. Kool Shen a eu ce rôle de réalisateur, et m’a surtout canalisé. J’étais plein d’énergie, mais il y a plein de choses que je ne connaissais pas, j’étais encore en apprentissage. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en octobre 2018.

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