Sortie

ATK - Heptagone

ATK est encore aujourd’hui considéré comme le groupe ayant le mieux exprimé la quintessence du rap mélancolique. Et si dans sa discographie collective, un disque y est pour beaucoup, c’est bien Heptagone. Très beau succès indépendant de la fin du siècle, le deuxième album du posse de l’Est parisien est perçu comme l’incarnation de l’expertise des textes tristes et introspectifs posés sur des boucles de violon-piano. Évidemment, c’est loin d’être injuste tant plusieurs titres de l’album déclinent à merveille le spleen adolescent. Avec des mots accessibles, les six rappeurs d’ATK parlent à la jeunesse de France sans lui faire la morale ni lui tenir un discours politique didactique. La plupart des titres fonctionnent comme des petites-voix, en écho aux interrogations des quinze à vingt-cinq ans. Mais cette proximité qui s’instaure ne doit pas masquer ce qu’était aussi l’Atklique, déjà perçue lors de leur virevoltant premier album : Micro Test. Une complémentarité rare entre rappeurs, une facilité à se passer le micro et à enchaîner à la suite de son compagnon de son. Construit autour de binômes, ATK ce n’était pas seulement un cultissime sample de Sade bouclé sur une histoire de retrouvailles amères. C’était aussi la folie de Légadulabo qui parodient Arabesque ou l’énergie de Freko, brutalement rue sur « Mangeurs de Pierres. » C’était les ambiances louches et vaporeuses de Maximum de Phases sur « Burning Zone. » C’était l’émulation de six rappeurs sur le titre éponyme à l’album, qui se challengent tout en challengeant le rap sur un sample de Toto. Et si aucun des MCs du crew prenant du poids comme un gars obèse n’a connu de véritable carrière, le parcours post ATK de chacun démontre cette pluralité et ce kiff du rap. Freko les deux pieds dans le bitume, Cyanure en égérie du fast flow du rap alternatif ou encore Test en précurseur du rap noir fluo et des ambiances interlopes. Vingt ans plus tard, le groupe est revenu avec un album. Intitulé Comme on a dit, celui-ci a montré que l’alchimie collective était encore là. Plus qu’un crew, c’est une identité. Alors certes, Heptagone peut paraître aujourd’hui daté, mais ce qui unit ses auteurs est définitivement intemporel. Fredy K peut être fier de ses gars.

Cyanure

(MC d’ATK)

« Quand le collectif originel d’ATK s’est séparé et que certains sont partis vers Time Bomb, on sentait évidemment le fossé avec Lunatic ou Oxmo. Mais on avait aussi de la fierté. D’un côté, celle de ne pas se faire jeter, mais surtout de ne pas avoir besoin d’eux. À six on fait chacun nos douze mesures, on y ajoute un refrain et le morceau dure cinq minutes trente, alors on ne va pas aller se coltiner d’autres mecs ! En plus, on faisait le tour des radios. À une époque, Générations, c’était un peu chez nous, on y faisait un freestyle une fois par semaine. Et à chaque fois qu’on faisait quelque chose, il y avait un plan derrière. On enchaînait les mixtapes. C’est dans cet esprit-là qu’on enregistre Heptagone. On avait compris qu’on n’avait pas besoin d’aller voir ailleurs, qu’on était autonomes et solides. Quand le disque est sorti, on était en kif. On ne voyait pas plus loin. On a vu la maison de disques vendre douze mille exemplaires de l’album en trois mois, sans pages de pub, sans rien, avec juste dix mille flyers et autant de stickers, sans véritable soutien de la presse hormis ceux de Michaël Knight et Paula Haddad de RER. Mais c’est surtout le bouche à oreille qui a fait le boulot ! Ce n’est que cinq ou six ans plus tard qu’on a vraiment réalisé l’impact de l’album alors que nous nous étions séparés. Alors oui, il y a des moments où quand on voyait des anciens compagnons de route comme Pit Baccardi ou Matt Houston devenir numéro un, on s’est dit : « pourquoi pas nous ? » Certains d’entre nous avaient fait des sacrifices en espérant qu’ils seraient récompensés. Forcément, quand ça ne fonctionne pas plus qu’un succès d’estime, ça peut te laisser un goût d’inachevé. Mais aujourd’hui, avec plus de recul, on peut tous se voir comme des poètes maudits, sans amertume, mais plutôt avec fierté. Honnêtement, le fait d’être des poètes de maudit, ça entretient un peu le mythe. Je pense que cette trajectoire nous a donné un cachet. J’ai une bonne satisfaction de l’image laissée par Heptagone et ATK. J’ai l’impression qu’encore aujourd’hui, c’est un groupe que les gens aiment faire connaître, parce que ce n’est pas un groupe très connu mais qui parle à ceux qui aiment le rap. ! Alors évidemment qu’on aurait aimé en faire une carrière, mais pour moi en tous cas, ce n’est pas un gros regret. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en septembre 2013

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